L'Ingénu (1767) - Voltaire
Sous-titre : "Histoire véritable tirée des manuscrits du père Quesnel"
(Le père Quesnel, à qui Voltaire attribue l’Ingénu, est le janséniste auteur des Réflexions morales, dont cent et une propositions furent condamnées par la bulle Unigenitus.)
Chapitre 1. Comment le prieur de N.D. et mlle sa sœur rencontrèrent un huron
Chapitre 2. Le Huron, nommé l’Ingénu, reconnu de ses parents
Chapitre 3. Le Huron, nommé l’Ingénu, converti
Chapitre 4. L’Ingénu baptisé
Chapitre 5. L’Ingénu amoureux
Chapitre 6. L’Ingénu court chez sa maîtresse et devient furieux
Chapitre 7. L’Ingénu repousse les Anglais
Chapitre 8. L’Ingénu va en cour. Il soupe en chemin avec des huguenots
Chapitre 9. Arrivée de l’Ingénu à Versailles. Sa réception à la cour
Chapitre 10. L’Ingénu enfermé à la bastille avec un janséniste
Chapitre 11. Comment l’Ingénu développe son génie
Chapitre 12. Ce que l’Ingénu pense des pièces de théâtre
Chapitre 13. La belle Saint-Yves va à Versailles
Chapitre 14. Progrès de l’esprit de l’Ingénu
Chapitre 15. La belle Saint-Yves résiste à des propositions délicates
Chapitre 16. Elle consulte un jésuite
Chapitre 17. Elle succombe par vertu
Chapitre 18. Elle délivre son amant et un janséniste
Chapitre 19. L’Ingénu, la belle Saint-Yves, et leurs parents sont rassemblés
Chapitre 20. La belle Saint-Yves meurt, et ce qui en arrive
CHAPITRE I. COMMENT LE PRIEUR DE NOTRE-DAME DE LA MONTAGNE ET MADEMOISELLE SA SŒUR RENCONTRÈRENT UN HURON.
Un
jour saint Dunstan, Irlandais de nation et saint de profession, partit
d’Irlande sur une petite montagne qui vogua vers les côtes de France, et
arriva par cette voiture à la baie de Saint-Malo. Quand il fut à bord,
il donna la bénédiction à sa montagne, qui lui fit de profondes
révérences, et s’en retourna en Irlande par le même chemin qu’elle était
venue.
Dunstan fonda un petit prieuré dans ces quartiers-là, et lui
donna le nom de prieuré de la Montagne, qu’il porte encore, comme un
chacun sait.
En l’année 1689, le 15 juillet au soir, l’abbé de
Kerkabon, prieur de Notre-Dame de la Montagne, se promenait sur le bord
de la mer avec Mlle de Kerkabon, sa sœur, pour prendre le frais. Le
prieur, déjà un peu sur l’âge, était un très bon ecclésiastique, aimé de
ses voisins, après l’avoir été autrefois de ses voisines. Ce qui lui
avait donné surtout une grande considération, c’est qu’il était le seul
bénéficier du pays qu’on ne fût pas obligé de porter dans son lit quand
il avait soupé avec ses confrères. Il savait assez honnêtement de
théologie ; et quand il était las de lire saint Augustin, il s’amusait
avec Rabelais : aussi tout le monde disait du bien de lui.
Mlle de
Kerkabon, qui n’avait jamais été mariée, quoiqu’elle eût grande envie de
l’être, conservait de la fraîcheur à l’âge de quarante-cinq ans ; son
caractère était bon et sensible ; elle aimait le plaisir, et était
dévote.
Le prieur disait à sa sœur, en regardant la mer : « Hélas!
c’est ici que s’embarqua notre pauvre frère avec notre chère belle-sœur
Mme de Kerkabon, sa femme, sur la frégate l’Hirondelle, en 1669, pour
aller servir en Canada. S’il n’avait pas été tué, nous pourrions espérer
de le revoir encore.
— Croyez-vous, disait Mlle de Kerkabon, que
notre belle-sœur ait été mangée par les Iroquois, comme on nous l’a dit ?
Il est certain que si elle n’avait pas été mangée, elle serait revenue
au pays. Je la pleurerai toute ma vie : c’était une femme charmante ; et
notre frère, qui avait beaucoup d’esprit, aurait fait assurément une
grande fortune. »
Comme ils s’attendrissaient l’un et l’autre à ce
souvenir, ils virent entrer dans la baie de Rance un petit bâtiment qui
arrivait avec la marée : c’étaient des Anglais qui venaient vendre
quelques denrées de leur pays. Ils sautèrent à terre, sans regarder
monsieur le prieur ni mademoiselle sa sœur, qui fut très choquée du peu
d’attention qu’on avait pour elle.
Il n’en fut pas de même d’un jeune
homme très bien fait qui s’élança d’un saut par-dessus la tête de ses
compagnons, et se trouva vis-à-vis mademoiselle. Il lui fit un signe de
tête, n’étant pas dans l’usage de faire la révérence. Sa figure et son
ajustement attirèrent les regards du frère et de la sœur. Il était
nu-tête et nu-jambes, les pieds chaussés de petites sandales, le chef
orné de longs cheveux en tresses, un petit pourpoint qui serrait une
taille fine et dégagée ; l’air martial et doux. Il tenait dans sa main
une petite bouteille d’eau des Barbades, et dans l’autre une espèce de
bourse dans laquelle était un gobelet et de très bon biscuit de mer. Il
parlait français fort intelligiblement. Il présenta de son eau des
Barbades à Mlle de Kerkabon et à monsieur son frère ; il en but avec eux
; il leur en fit reboire encore, et tout cela d’un air si simple et si
naturel que le frère et la sœur en furent charmés. Ils lui offrirent
leurs services, en lui demandant qui il était et où il allait. Le jeune
homme leur répondit qu’il n’en savait rien, qu’il était curieux, qu’il
avait voulu voir comment les côtes de France étaient faites, qu’il était
venu, et allait s’en retourner.
Monsieur le prieur, jugeant à son
accent qu’il n’était pas anglais, prit la liberté de lui demander de
quel pays il était. « Je suis Huron », lui répondit le jeune homme.
Mlle
de Kerkabon, étonnée et enchantée de voir un Huron qui lui avait fait
des politesses, pria le jeune homme à souper ; il ne se fit pas prier
deux fois, et tous trois allèrent de compagnie au prieuré de Notre-Dame
de la Montagne.
La courte et ronde demoiselle le regardait de tous
ses petits yeux, et disait de temps en temps au prieur : « Ce grand
garçon-là a un teint de lis et de rose! qu’il a une belle peau pour un
Huron! — Vous avez raison, ma sœur, disait le prieur. » Elle faisait
cent questions coup sur coup, et le voyageur répondait toujours fort
juste.
Le bruit se répandit bientôt qu’il y avait un Huron au
prieuré. La bonne compagnie du canton s’empressa d’y venir souper.
L’abbé de Saint-Yves y vint avec mademoiselle sa sœur, jeune
basse-brette, fort jolie et très bien élevée. Le bailli, le receveur des
tailles, et leurs femmes, furent du souper. On plaça l’étranger entre
Mlle de Kerkabon et Mlle de Saint-Yves. Tout le monde le regardait avec
admiration ; tout le monde lui parlait et l’interrogeait à la fois ; le
Huron ne s’en émouvait pas. Il semblait qu’il eût pris pour sa devise
celle de milord Bolingbroke : Nihil admirari. Mais à la fin, excédé de
tant de bruit, il leur dit avec assez de douceur, mais avec un peu de
fermeté : « Messieurs, dans mon pays on parle l’un après l’autre ;
comment voulez-vous que je vous réponde quand vous m’empêchez de vous
entendre ? » La raison fait toujours rentrer les hommes en eux-mêmes
pour quelques moments : il se fit un grand silence. Monsieur le bailli,
qui s’emparait toujours des étrangers dans quelque maison qu’il se
trouvât, et qui était le plus grand questionneur de la province, lui dit
en ouvrant la bouche d’un demi-pied : « Monsieur, comment vous
nommez-vous ? — On m’a toujours appelé l’Ingénu, reprit le Huron, et on
m’a confirmé ce nom en Angleterre, parce que je dis toujours naïvement
ce que je pense, comme je fais tout ce que je veux.
— Comment, étant
né Huron, avez-vous pu, monsieur, venir en Angleterre ? — C’est qu’on
m’y a mené ; j’ai été fait, dans un combat, prisonnier par les Anglais,
après m’être assez bien défendu ; et les Anglais, qui aiment la
bravoure, parce qu’ils sont braves et qu’ils sont aussi honnêtes que
nous, m’ayant proposé de me rendre à mes parents ou de venir en
Angleterre, j’acceptai le dernier parti, parce que de mon naturel j’aime
passionnément à voir du pays.
— Mais, monsieur, dit le bailli avec
son ton imposant, comment avez-vous pu abandonner ainsi père et mère ? —
C’est que je n’ai jamais connu ni père ni mère », dit l’étranger. La
compagnie s’attendrit, et tout le monde répétait : Ni père, ni mère! «
Nous lui en servirons, dit la maîtresse de la maison à son frère le
prieur ; que ce monsieur le Huron est intéressant! » L’Ingénu la
remercia avec une cordialité noble et fière, et lui fit comprendre qu’il
n’avait besoin de rien.
« Je m’aperçois, monsieur l’Ingénu, dit le
grave bailli, que vous parlez mieux français qu’il n’appartient à un
Huron. — Un Français, dit-il, que nous avions pris dans ma grande
jeunesse en Huronie, et pour qui je conçus beaucoup d’amitié, m’enseigna
sa langue ; j’apprends très vite ce que je veux apprendre. J’ai trouvé
en arrivant à Plymouth un de vos Français réfugiés que vous appelez
huguenots, je ne sais pourquoi ; il m’a fait faire quelques progrès dans
la connaissance de votre langue ; et dès que j’ai pu m’exprimer
intelligiblement, je suis venu voir votre pays, parce que j’aime assez
les Français quand ils ne font pas trop de questions. »
L’abbé de
Saint-Yves, malgré ce petit avertissement, lui demanda laquelle des
trois langues lui plaisait davantage, la huronne, l’anglaise, ou la
française. — La huronne, sans contredit, répondit l’Ingénu. — Est-il
possible ? s’écria Mlle de Kerkabon ; j’avais toujours cru que le
français était la plus belle de toutes les langues après le bas-breton. »
Alors
ce fut à qui demanderait à l’Ingénu comment on disait en huron du
tabac, et il répondait taya ; comment on disait manger, et il répondait
essenten. Mlle de Kerkabon voulut absolument savoir comment on disait
faire l’amour ; il lui répondit "trovander", et soutint, non sans
apparence de raison, que ces mots-là valaient bien les mots français et
anglais qui leur correspondaient. Trovander parut très joli à tous les
convives.
Monsieur le prieur, qui avait dans sa bibliothèque la
grammaire huronne dont le révérend P. Sagar Théodat, récollet, fameux
missionnaire, lui avait fait présent, sortit de table un moment pour
l’aller consulter. Il revint tout haletant de tendresse et de joie ; il
reconnut l’Ingénu pour un vrai Huron. On disputa un peu sur la
multiplicité des langues, et on convint que, sans l’aventure de la tour
de Babel, toute la terre aurait parlé français.
L’interrogant bailli,
qui jusque-là s’était défié un peu du personnage, conçut pour lui un
profond respect ; il lui parla avec plus de civilité qu’auparavant, de
quoi l’Ingénu ne s’aperçut pas.
Mlle de Saint-Yves était fort
curieuse de savoir comment on faisait l’amour au pays des Hurons. « En
faisant de belles actions, répondit-il, pour plaire aux personnes qui
vous ressemblent. » Tous les convives applaudirent avec étonnement. Mlle
de Saint-Yves rougit et fut fort aise. Mlle de Kerkabon rougit aussi,
mais elle n’était pas si aise : elle fut un peu piquée que la galanterie
ne s’adressât pas à elle ; mais elle était si bonne personne que son
affection pour le Huron n’en fut point du tout altérée. Elle lui
demanda, avec beaucoup de bonté, combien il avait eu de maîtresses en
Huronie. « Je n’en ai jamais eu qu’une, dit l’Ingénu ; c’était Mlle
Abacaba, la bonne amie de ma chère nourrice ; les joncs ne sont pas plus
droits, l’hermine n’est pas plus blanche, les moutons sont moins doux,
les aigles moins fiers, et les cerfs ne sont pas si légers que l’était
Abacaba. Elle poursuivait un jour un lièvre dans notre voisinage,
environ à cinquante lieues de notre habitation ; un Algonquin mal élevé,
qui habitait cent lieues plus loin, vint lui prendre son lièvre ; je le
sus, j’y courus, je terrassai l’Algonquin d’un coup de massue, je
l’amenai aux pieds de ma maîtresse, pieds et poings liés. Les parents
d’Abacaba voulurent le manger ; mais je n’eus jamais de goût pour ces
sortes de festins ; je lui rendis sa liberté, j’en fis un ami. Abacaba
fut si touchée de mon procédé qu’elle me préféra à tous ses amants. Elle
m’aimerait encore si elle n’avait pas été mangée par un ours : j’ai
puni l’ours, j’ai porté longtemps sa peau ; mais cela ne m’a pas
consolé. »
Mlle de Saint-Yves, à ce récit, sentait un plaisir secret
d’apprendre que l’Ingénu n’avait eu qu’une maîtresse, et qu’Abacaba
n’était plus ; mais elle ne démêlait pas la cause de son plaisir. Tout
le monde fixait les yeux sur l’Ingénu ; on le louait beaucoup d’avoir
empêché ses camarades de manger un Algonquin.
L’impitoyable bailli,
qui ne pouvait réprimer sa fureur de questionner, poussa enfin la
curiosité jusqu’à s’informer de quelle religion était monsieur le Huron ;
s’il avait choisi la religion anglicane, ou la gallicane, ou la
huguenote ? « Je suis de ma religion, dit-il, comme vous de la vôtre. —
Hélas! s’écria la Kerkabon, je vois bien que ces malheureux Anglais
n’ont pas seulement songé à le baptiser. — Eh! mon Dieu, disait Mlle de
Saint-Yves, comment se peut-il que les Hurons ne soient pas catholiques ?
Est-ce que les révérends pères jésuites ne les ont pas tous convertis ?
» L’Ingénu l’assura que dans son pays on ne convertissait personne ;
que jamais un vrai Huron n’avait changé d’opinion, et que même il n’y
avait point dans sa langue de terme qui signifiât inconstance. Ces
derniers mots plurent extrêmement à Mlle de Saint-Yves.
« Nous le
baptiserons, nous le baptiserons, disait la Kerkabon à monsieur le
prieur ; vous en aurez l’honneur, mon cher frère ; je veux absolument
être sa marraine : M. l’abbé de Saint-Yves le présentera sur les fonts ;
ce sera une cérémonie bien brillante ; il en sera parlé dans toute la
Basse-Bretagne, et cela nous fera un honneur infini. » Toute la
compagnie seconda la maîtresse de la maison ; tous les convives criaient
: « Nous le baptiserons! » L’Ingénu répondit qu’en Angleterre on
laissait vivre les gens à leur fantaisie. Il témoigna que la proposition
ne lui plaisait point du tout, et que la loi des Hurons valait pour le
moins la loi des Bas-Bretons ; enfin il dit qu’il repartait le
lendemain. On acheva de vider sa bouteille d’eau des Barbades, et chacun
s’alla coucher.
Quand on eut reconduit l’Ingénu dans sa chambre,
Mlle de Kerkabon et son amie Mlle de Saint-Yves ne purent se tenir de
regarder par le trou d’une large serrure pour voir comment dormait un
Huron. Elles virent qu’il avait étendu la couverture du lit sur le
plancher, et qu’il reposait dans la plus belle attitude du monde.
CHAPITRE II. LE HURON, NOMMÉ L’INGÉNU, RECONNU DE SES PARENTS.
L’Ingénu,
selon sa coutume, s’éveilla avec le soleil, au chant du coq, qu’on
appelle en Angleterre et en Huronie la trompette du jour. Il n’était pas
comme la bonne compagnie, qui languit dans un lit oiseux jusqu’à ce que
le soleil ait fait la moitié de son tour, qui ne peut ni dormir ni se
lever, qui perd tant d’heures précieuses dans cet état mitoyen entre la
vie et la mort, et qui se plaint encore que la vie est trop courte.
Il
avait déjà fait deux ou trois lieues, il avait tué trente pièces de
gibier à balle seule, lorsqu’en rentrant il trouva M. le prieur de
Notre-Dame de la Montagne et sa discrète sœur, se promenant en bonnet de
nuit dans leur petit jardin. Il leur présenta toute sa chasse, et en
tirant de sa chemise une espèce de petit talisman qu’il portait toujours
à son cou, il les pria de l’accepter en reconnaissance de leur bonne
réception. « C’est ce que j’ai de plus précieux, leur dit-il ; on m’a
assuré que je serais toujours heureux tant que je porterais ce petit
brimborion sur moi, et je vous le donne afin que vous soyez toujours
heureux. »
Le prieur et mademoiselle sourirent avec attendrissement
de la naïveté de l’Ingénu. Ce présent consistait en deux petits
portraits assez mal faits, attachés ensemble avec une courroie fort
grasse.
Mlle de Kerkabon lui demanda s’il y avait des peintres en
Huronie. « Non, dit l’Ingénu ; cette rareté me vient de ma nourrice ;
son mari l’avait eue par conquête, en dépouillant quelques Français du
Canada qui nous avaient fait la guerre ; c’est tout ce que j’en ai su. »
Le
prieur regardait attentivement ces portraits ; il changea de couleur,
il s’émut, ses mains tremblèrent. « Par Notre-Dame de la Montagne,
s’écria-t-il, je crois que voilà le visage de mon frère le capitaine et
de sa femme! » Mademoiselle, après les avoir considérés avec la même
émotion, en jugea de même. Tous deux étaient saisis d’étonnement et
d’une joie mêlée de douleur ; tous deux s’attendrissaient ; tous deux
pleuraient ; leur cœur palpitait ; ils poussaient des cris ; ils
s’arrachaient les portraits ; chacun d’eux les prenait et les rendait
vingt fois en une seconde ; ils dévoraient des yeux les portraits et le
Huron ; ils lui demandaient l’un après l’autre, et tous deux à la fois,
en quel lieu, en quel temps, comment ces miniatures étaient tombées
entre les mains de sa nourrice ; ils rapprochaient, ils comptaient les
temps depuis le départ du capitaine ; il se souvenaient d’avoir eu
nouvelle qu’il avait été jusqu’au pays des Hurons, et que depuis ce
temps ils n’en avaient jamais entendu parler.
L’Ingénu leur avait dit
qu’il n’avait connu ni père ni mère. Le prieur, qui était homme de
sens, remarqua que l’Ingénu avait un peu de barbe ; il savait très bien
que les Hurons n’en ont point. « Son menton est cotonné, il est donc
fils d’un homme d’Europe ; mon frère et ma belle-sœur ne parurent plus
après l’expédition contre les Hurons, en 1669 ; mon neveu devait alors
être à la mamelle ; la nourrice huronne lui a sauvé la vie et lui a
servi de mère. » Enfin, après cent questions et cent réponses, le prieur
et sa sœur conclurent que le Huron était leur propre neveu. Ils
l’embrassaient en versant des larmes ; et l’Ingénu riait, ne pouvant
s’imaginer qu’un Huron fût neveu d’un prieur bas-breton.
Toute la
compagnie descendit ; M. de Saint-Yves, qui était grand physionomiste,
compara les deux portraits avec le visage de l’Ingénu ; il fit très
habilement remarquer qu’il avait les yeux de sa mère, le front et le nez
de feu M. le capitaine de Kerkabon, et des joues qui tenaient de l’un
et de l’autre.
Mlle de Saint-Yves, qui n’avait jamais vu le père ni
la mère, assura que l’Ingénu leur ressemblait parfaitement. Ils
admiraient tous la Providence et l’enchaînement des événements de ce
monde. Enfin on était si persuadé, si convaincu de la naissance de
l’Ingénu, qu’il consentit lui-même à être neveu de monsieur le prieur,
en disant qu’il aimait autant l’avoir pour son oncle qu’un autre.
On
alla rendre grâce à Dieu dans l’église de Notre-Dame de la Montagne,
tandis que le Huron, d’un air indifférent, s’amusait à boire dans la
maison.
Les Anglais qui l’avaient amené, et qui étaient prêts à
mettre à la voile, vinrent lui dire qu’il était temps de partir. «
Apparemment, leur dit-il, que vous n’avez pas retrouvé vos oncles et vos
tantes : je reste ici ; retournez à Plymouth, je vous donne toutes mes
hardes, je n’ai plus besoin de rien au monde puisque je suis le neveu
d’un prieur. » Les Anglais mirent à la voile, en se souciant fort peu
que l’Ingénu eût des parents ou non en Basse-Bretagne.
Après que
l’oncle, la tante, et la compagnie, eurent chanté le Te Deum ; après que
le bailli eut encore accablé l’Ingénu de questions ; après qu’on eut
épuisé tout ce que l’étonnement, la joie, la tendresse, peuvent faire
dire, le prieur de la Montagne et l’abbé de Saint-Yves conclurent à
faire baptiser l’Ingénu au plus vite. Mais il n’en était pas d’un grand
Huron de vingt-deux ans comme d’un enfant qu’on régénère sans qu’il en
sache rien. Il fallait l’instruire, et cela paraissait difficile : car
l’abbé de Saint-Yves supposait qu’un homme qui n’était pas né en France
n’avait pas le sens commun.
Le prieur fit observer à la compagnie
que, si en effet M. l’Ingénu, son neveu, n’avait pas eu le bonheur de
naître en Basse-Bretagne, il n’en avait pas moins d’esprit ; qu’on en
pouvait juger par toutes ses réponses, et que sûrement la nature l’avait
beaucoup favorisé, tant du côté paternel que du maternel.
On lui
demanda d’abord s’il avait jamais lu quelque livre. Il dit qu’il avait
lu Rabelais traduit en anglais, et quelques morceaux de Shakespeare
qu’il savait par cœur ; qu’il avait trouvé ces livres chez le capitaine
du vaisseau qui l’avait amené de l’Amérique à Plymouth, et qu’il en
était fort content. Le bailli ne manqua pas de l’interroger sur ces
livres. « Je vous avoue, dit l’Ingénu, que j’ai cru en deviner quelque
chose, et que je n’ai pas entendu le reste. »
L’abbé de Saint-Yves, à
ce discours, fit réflexion que c’était ainsi que lui-même avait
toujours lu, et que la plupart des hommes ne lisaient guère autrement. «
Vous avez sans doute lu la Bible ? dit-il au Huron. — Point du tout,
monsieur l’abbé ; elle n’était pas parmi les livres de mon capitaine ;
je n’en ai jamais entendu parler. — Voilà comme sont ces maudits
Anglais, criait Mlle de Kerkabon ; ils feront plus de cas d’une pièce de
Shakespeare, d’un plum-pudding et d’une bouteille de rhum que du
Pentateuque. Aussi n’ont-ils jamais converti personne en Amérique.
Certainement ils sont maudits de Dieu ; et nous leur prendrons la
Jamaïque et la Virginie avant qu’il soit peu de temps. »
Quoi qu’il
en soit, on fit venir le plus habile tailleur de Saint-Malo pour
habiller l’Ingénu de pied en cap. La compagnie se sépara ; le bailli
alla faire ses questions ailleurs. Mlle de Saint-Yves, en partant, se
retourna plusieurs fois pour regarder l’Ingénu ; et il lui fit des
révérences plus profondes qu’il n’en avait jamais fait à personne en sa
vie.
Le bailli, avant de prendre congé, présenta à Mlle de Saint-Yves
un grand nigaud de fils qui sortait du collège ; mais à peine le
regarda-t-elle, tant elle était occupée de la politesse du Huron.
CHAPITRE III. LE HURON, NOMMÉ L’INGÉNU, CONVERTI.
Monsieur
le prieur, voyant qu’il était un peu sur l’âge, et que Dieu lui
envoyait un neveu pour sa consolation, se mit en tête qu’il pourrait lui
résigner son bénéfice s’il réussissait à le baptiser, et à le faire
entrer dans les ordres.
L’Ingénu avait une mémoire excellente. La
fermeté des organes de Basse-Bretagne, fortifiée par le climat du
Canada, avait rendu sa tête si vigoureuse que, quand on frappait dessus,
à peine le sentait-il ; et quand on gravait dedans, rien ne s’effaçait ;
il n’avait jamais rien oublié. Sa conception était d’autant plus vive
et plus nette que, son enfance n’ayant point été chargée des inutilités
et des sottises qui accablent la nôtre, les choses entraient dans sa
cervelle sans nuage. Le prieur résolut enfin de lui faire lire le
Nouveau Testament. L’Ingénu le dévora avec beaucoup de plaisir ; mais,
ne sachant ni dans quel temps ni dans quel pays toutes les aventures
rapportées dans ce livre étaient arrivées, il ne douta point que le lieu
de la scène ne fût en Basse-Bretagne ; et il jura qu’il couperait le
nez et les oreilles à Caïphe et à Pilate si jamais il rencontrait ces
marauds-là.
Son oncle, charmé de ces bonnes dispositions, le mit au
fait en peu de temps ; il loua son zèle ; mais il lui apprit que ce zèle
était inutile, attendu que ces gens-là étaient morts il y avait environ
seize cent quatre-vingt-dix années. L’Ingénu sut bientôt presque tout
le livre par cœur. Il proposait quelquefois des difficultés qui
mettaient le prieur fort en peine. Il était obligé souvent de consulter
l’abbé de Saint-Yves, qui, ne sachant que répondre, fit venir un jésuite
bas-breton pour achever la conversion du Huron [1].
Enfin la grâce
opéra ; l’Ingénu promit de se faire chrétien ; il ne douta pas qu’il ne
dût commencer par être circoncis ; « car, disait-il, je ne vois pas dans
le livre qu’on m’a fait lire un seul personnage qui ne l’ait été ; il
est donc évident que je dois faire le sacrifice de mon prépuce : le plus
tôt c’est le mieux ». Il ne délibéra point : il envoya chercher le
chirurgien du village, et le pria de lui faire l’opération, comptant
réjouir infiniment Mlle de Kerkabon et toute la compagnie quand une fois
la chose serait faite. Le frater, qui n’avait point encore fait cette
opération, en avertit la famille, qui jeta les hauts cris. La bonne
Kerkabon trembla que son neveu, qui paraissait résolu et expéditif, ne
se fît lui-même l’opération très maladroitement, et qu’il n’en résultât
de tristes effets auxquels les dames s’intéressent toujours par bonté
d’âme.
Le prieur redressa les idées du Huron ; il lui remontra que la
circoncision n’était plus de mode ; que le baptême était beaucoup plus
doux et plus salutaire ; que la loi de grâce n’était pas comme la loi de
rigueur. L’Ingénu, qui avait beaucoup de bon sens et de droiture,
disputa, mais reconnut son erreur ; ce qui est assez rare en Europe aux
gens qui disputent ; enfin il promit de se faire baptiser quand on
voudrait.
Il fallait auparavant se confesser ; et c’était là le plus
difficile. L’Ingénu avait toujours en poche le livre que son oncle lui
avait donné. Il n’y trouvait pas qu’un seul apôtre se fût confessé, et
cela le rendait très rétif. Le prieur lui ferma la bouche en lui
montrant, dans l’épître de saint Jacques le Mineur, ces mots qui font
tant de peine aux hérétiques : Confessez vos péchés les uns aux autres.
Le Huron se tut, et se confessa à un récollet. Quand il eut fini, il
tira le récollet du confessionnal, et, saisissant son homme d’un bras
vigoureux, il se mit à sa place, et le fit mettre à genoux devant lui : «
Allons, mon ami, il est dit : Confessez-vous les uns aux autres : je
t’ai conté mes péchés, tu ne sortiras pas d’ici que tu ne m’aies conté
les tiens. » En parlant ainsi, il appuyait son large genou contre la
poitrine de son adverse partie. Le récollet pousse des hurlements qui
font retentir l’église. On accourt au bruit, on voit le catéchumène qui
gourmait le moine au nom de saint Jacques le Mineur. La joie de baptiser
un Bas-Breton huron et anglais était si grande qu’on passa par-dessus
ces singularités. Il y eut même beaucoup de théologiens qui pensèrent
que la confession n’était pas nécessaire, puisque le baptême tenait lieu
de tout.
On prit jour avec l’évêque de Saint-Malo, qui, flatté,
comme on peut le croire, de baptiser un Huron, arriva dans un pompeux
équipage, suivi de son clergé. Mlle de Saint-Yves, en bénissant Dieu,
mit sa plus belle robe et fit venir une coiffeuse de Saint-Malo pour
briller à la cérémonie. L’interrogant bailli accourut avec toute la
contrée. L’église était magnifiquement parée ; mais quand il fallut
prendre le Huron pour le mener aux fonts baptismaux, on ne le trouva
point.
L’oncle et la tante le cherchèrent partout. On crut qu’il
était à la chasse, selon sa coutume. Tous les conviés à la fête
parcoururent les bois et les villages voisins : point de nouvelles du
Huron.
On commençait à craindre qu’il ne fût retourné en Angleterre.
On se souvenait de lui avoir entendu dire qu’il aimait fort ce pays-là.
Monsieur le prieur et sa sœur étaient persuadés qu’on n’y baptisait
personne, et tremblaient pour l’âme de leur neveu. L’évêque était
confondu et prêt à s’en retourner ; le prieur et l’abbé de Saint-Yves se
désespéraient ; le bailli interrogeait tous les passants avec sa
gravité ordinaire ; Mlle de Kerkabon pleurait ; Mlle de Saint-Yves ne
pleurait pas, mais elle poussait de profonds soupirs qui semblaient
témoigner son goût pour les sacrements. Elles se promenaient tristement
le long des saules et des roseaux qui bordent la petite rivière de
Rance, lorsqu’elles aperçurent au milieu de la rivière une grande figure
assez blanche, les deux mains croisées sur la poitrine. Elles jetèrent
un grand cri et se détournèrent. Mais, la curiosité l’emportant bientôt
sur toute autre considération, elles se coulèrent doucement entre les
roseaux ; et quand elles furent bien sûres de n’être point vues, elles
voulurent voir de quoi il s’agissait.
CHAPITRE IV. L’INGÉNU BAPTISÉ.
Le
prieur et l’abbé, étant accourus, demandèrent à l’Ingénu ce qu’il
faisait là. « Eh parbleu! messieurs, j’attends le baptême : il y a une
heure que je suis dans l’eau jusqu’au cou, et il n’est pas honnête de me
laisser morfondre.
— Mon cher neveu, lui dit tendrement le prieur,
ce n’est pas ainsi qu’on baptise en Basse-Bretagne ; reprenez vos habits
et venez avec nous. « Mlle de Saint-Yves, en entendant ce discours,
disait tout bas à sa compagne : » Mademoiselle, croyez-vous qu’il
reprenne sitôt ses habits ? »
Le Huron cependant répartit au prieur :
« Vous ne m’en ferez pas accroire cette fois-ci comme l’autre ; j’ai
bien étudié depuis ce temps-là, et je suis très certain qu’on ne se
baptise pas autrement. L’eunuque de la reine Candace fut baptisé dans un
ruisseau ; je vous défie de me montrer dans le livre que vous m’avez
donné qu’on s’y soit jamais pris d’une autre façon. Je ne serai point
baptisé du tout, ou je le serai dans la rivière. » On eut beau lui
remontrer que les usages avaient changé, l’Ingénu était têtu, car il
était Breton et Huron. Il revenait toujours à l’eunuque de la reine
Candace ; et quoique mademoiselle sa tante et Mlle de Saint-Yves, qui
l’avaient observé entre les saules, fussent en droit de lui dire qu’il
ne lui appartenait pas de citer un pareil homme, elles n’en firent
pourtant rien, tant était grande leur discrétion. L’évêque vint lui-même
lui parler, ce qui est beaucoup ; mais il ne gagna rien : le Huron
disputa contre l’évêque.
« Montrez-moi, lui dit-il, dans le livre que
m’a donné mon oncle, un seul homme qui n’ait pas été baptisé dans la
rivière, et je ferai tout ce que vous voudrez. »
La tante,
désespérée, avait remarqué que la première fois que son neveu avait fait
la révérence il en avait fait une plus profonde à Mlle de Saint-Yves
qu’à aucune autre personne de la compagnie, qu’il n’avait pas même salué
monsieur l’évêque avec ce respect mêlé de cordialité qu’il avait
témoigné à cette belle demoiselle. Elle prit le parti de s’adresser à
elle dans ce grand embarras ; elle la pria d’interposer son crédit pour
engager le Huron à se faire baptiser de la même manière que les Bretons,
ne croyant pas que son neveu pût jamais être chrétien s’il persistait à
vouloir être baptisé dans l’eau courante.
Mlle de Saint-Yves rougit
du plaisir secret qu’elle sentait d’être chargée d’une si importante
commission. Elle s’approcha modestement de l’Ingénu, et, lui serrant la
main d’une manière tout à fait noble : « Est-ce que vous ne ferez rien
pour moi ? » lui dit-elle ; et en prononçant ces mots elle baissait les
yeux, et les relevait avec une grâce attendrissante. « Ah! tout ce que
vous voudrez, mademoiselle, tout ce que vous me commanderez : baptême
d’eau, baptême de feu, baptême de sang, il n’y a rien que je vous
refuse. » Mlle de Saint-Yves eut la gloire de faire en deux paroles ce
que ni les empressements du prieur, ni les interrogations réitérées du
bailli, ni les raisonnements même de monsieur l’évêque, n’avaient pu
faire. Elle sentit son triomphe ; mais elle n’en sentait pas encore
toute l’étendue.
Le baptême fut administré et reçu avec toute la
décence, toute la magnificence, tout l’agrément possibles. L’oncle et la
tante cédèrent à M. l’abbé de Saint-Yves et à sa sœur l’honneur de
tenir l’Ingénu sur les fonts. Mlle de Saint-Yves rayonnait de joie de se
voir marraine. Elle ne savait pas à quoi ce grand titre l’asservissait ;
elle accepta cet honneur sans en connaître les fatales conséquences.
Comme
il n’y a jamais eu de cérémonie qui ne fût suivie d’un grand dîner, on
se mit à table au sortir du baptême. Les goguenards de Basse-Bretagne
dirent qu’il ne fallait pas baptiser son vin. Monsieur le prieur disait
que le vin, selon Salomon, réjouit le cœur de l’homme. Monsieur l’évêque
ajoutait que le patriarche Juda devait lier son ânon à la vigne, et
tremper son manteau dans le sang du raisin, et qu’il était bien triste
qu’on n’en pût faire autant en Basse-Bretagne, à laquelle Dieu a dénié
les vignes. Chacun tâchait de dire un bon mot sur le baptême de
l’Ingénu, et des galanteries à la marraine. Le bailli, toujours
interrogant, demandait au Huron s’il serait fidèle à ses promesses. «
Comment voulez-vous que je manque à mes promesses, répondit le Huron,
puisque je les ai faites entre les mains de Mlle de Saint-Yves ? »
Le
Huron s’échauffa ; il but beaucoup à la santé de sa marraine. « Si
j’avais été baptisé de votre main, dit-il, je sens que l’eau froide
qu’on m’a versée sur le chignon m’aurait brûlé. » Le bailli trouva cela
trop poétique, ne sachant pas combien l’allégorie est familière au
Canada. Mais la marraine en fut extrêmement contente.
On avait donné
le nom d’Hercule au baptisé. L’évêque de Saint-Malo demandait toujours
quel était ce patron dont il n’avait jamais entendu parler. Le jésuite,
qui était fort savant, lui dit que c’était un saint qui avait fait douze
miracles. Il y en avait un treizième qui valait les douze autres, mais
dont il ne convenait pas à un jésuite de parler : c’était celui d’avoir
changé cinquante filles en femmes en une seule nuit. Un plaisant qui se
trouva là releva ce miracle avec énergie. Toutes les dames baissèrent
les yeux, et jugèrent à la physionomie de l’Ingénu qu’il était digne du
saint dont il portait le nom.
CHAPITRE V. L’INGÉNU AMOUREUX.
Il
faut avouer que depuis ce baptême et ce dîner Mlle de Saint-Yves
souhaita passionnément que monsieur l’évêque la fît encore participante
de quelque beau sacrement avec M. Hercule l’Ingénu. Cependant, comme
elle était bien élevée et fort modeste, elle n’osait convenir tout à
fait avec elle-même de ses tendres sentiments ; mais, s’il lui échappait
un regard, un mot, un geste, une pensée, elle enveloppait tout cela
d’un voile de pudeur infiniment aimable. Elle était tendre, vive et
sage.
Dès que monsieur l’évêque fut parti, l’Ingénu et Mlle de
Saint-Yves se rencontrèrent sans avoir fait réflexion qu’ils se
cherchaient. Ils se parlèrent sans avoir imaginé ce qu’ils se diraient.
L’Ingénu lui dit d’abord qu’il l’aimait de tout son cœur, et que la
belle Abacaba, dont il avait été fou dans son pays, n’approchait pas
d’elle. Mademoiselle lui répondit, avec sa modestie ordinaire, qu’il
fallait en parler au plus vite à monsieur le prieur son oncle et à
mademoiselle sa tante, et que de son côté elle en dirait deux mots à son
cher frère l’abbé de Saint-Yves, et qu’elle se flattait d’un
consentement commun.
L’Ingénu lui répond qu’il n’avait besoin du
consentement de personne, qu’il lui paraissait extrêmement ridicule
d’aller demander à d’autres ce qu’on devait faire ; que, quand deux
parties sont d’accord, on n’a pas besoin d’un tiers pour les accommoder.
« Je ne consulte personne, dit-il, quand j’ai envie de déjeuner, ou de
chasser, ou de dormir : je sais bien qu’en amour il n’est pas mal
d’avoir le consentement de la personne à qui on en veut ; mais, comme ce
n’est ni de mon oncle ni de ma tante que je suis amoureux, ce n’est pas
à eux que je dois m’adresser dans cette affaire, et, si vous m’en
croyez, vous vous passerez aussi de M. l’abbé de Saint-Yves. »
On
peut juger que la belle Bretonne employa toute la délicatesse de son
esprit à réduire son Huron aux termes de la bienséance. Elle se fâcha
même, et bientôt se radoucit. Enfin on ne sait comment aurait fini cette
conversation si, le jour baissant, monsieur l’abbé n’avait ramené sa
sœur à son abbaye. L’Ingénu laissa coucher son oncle et sa tante, qui
étaient un peu fatigués de la cérémonie et de leur long dîner. Il passa
une partie de la nuit à faire des vers en langue huronne pour sa
bien-aimée : car il faut savoir qu’il n’y a aucun pays de la terre où
l’amour n’ait rendu les amants poëtes.
Le lendemain, son oncle lui
parla ainsi après le déjeuner, en présence de Mlle de Kerkabon, qui
était tout attendrie : « Le ciel soit loué de ce que vous avez
l’honneur, mon cher neveu, d’être chrétien et Bas-Breton! Mais cela ne
suffit pas ; je suis un peu sur l’âge ; mon frère n’a laissé qu’un petit
coin de terre qui est très peu de chose ; j’ai un bon prieuré ; si vous
voulez seulement vous faire sous-diacre, comme je l’espère, je vous
résignerai mon prieuré, et vous vivrez fort à votre aise, après avoir
été la consolation de ma vieillesse. »
L’Ingénu répondit : « Mon
oncle, grand bien vous fasse! vivez tant que vous pourrez. Je ne sais
pas ce que c’est que d’être sous-diacre ni que de résigner ; mais tout
me sera bon pourvu que j’aie Mlle de Saint-Yves à ma disposition. — Eh!
mon Dieu! mon neveu, que me dites-vous là ? Vous aimez donc cette belle
demoiselle à la folie ? — Oui, mon oncle. — Hélas! mon neveu, il est
impossible que vous l’épousiez. — Cela est très possible, mon oncle ;
car non-seulement elle m’a serré la main en me quittant, mais elle m’a
promis qu’elle me demanderait en mariage ; et assurément je l’épouserai.
— Cela est impossible, vous dis-je ; elle est votre marraine : c’est un
péché épouvantable à une marraine de serrer la main de son filleul ; il
n’est pas permis d’épouser sa marraine ; les lois divines et humaines
s’y opposent. — Morbleu! mon oncle, vous vous moquez de moi ; pourquoi
serait-il défendu d’épouser sa marraine, quand elle est jeune et jolie ?
Je n’ai point vu dans le livre que vous m’avez donné qu’il fût mal
d’épouser les filles qui ont aidé les gens à être baptisés. Je
m’aperçois tous les jours qu’on fait ici une infinité de choses qui ne
sont point dans votre livre, et qu’on n’y fait rien de tout ce qu’il dit
: je vous avoue que cela m’étonne et me fâche. Si on me prive de la
belle Saint-Yves, sous prétexte de mon baptême, je vous avertis que je
l’enlève, et que je me débaptise. »
Le prieur fut confondu ; sa sœur
pleura. « Mon cher frère, dit-elle, il ne faut pas que notre neveu se
damne ; notre saint-père le pape peut lui donner dispense, et alors il
pourra être chrétiennement heureux avec ce qu’il aime. » L’Ingénu
embrassa sa tante. « Quel est donc, dit-il, cet homme charmant qui
favorise avec tant de bonté les garçons et les filles dans leurs amours ?
Je veux lui aller parler tout à l’heure. »
On lui expliqua ce que
c’était que le pape ; et l’Ingénu fut encore plus étonné qu’auparavant. «
Il n’y a pas un mot de tout cela dans votre livre, mon cher oncle ;
j’ai voyagé, je connais la mer ; nous sommes ici sur la côte de l’Océan ;
et je quitterais Mlle de Saint-Yves pour aller demander la permission
de l’aimer à un homme qui demeure vers la Méditerranée, à quatre cents
lieues d’ici, et dont je n’entends point la langue! Cela est d’un
ridicule incompréhensible. Je vais sur-le-champ chez M. l’abbé de
Saint-Yves, qui ne demeure qu’à une lieue de vous, et je vous réponds
que j’épouserai ma maîtresse dans la journée. »
Comme il parlait
encore, entra le bailli, qui, selon sa coutume, lui demanda où il
allait. « Je vais me marier », dit l’Ingénu en courant ; et au bout d’un
quart d’heure il était déjà chez sa belle et chère basse-brette, qui
dormait encore. « Ah! mon frère! disait Mlle de Kerkabon au prieur,
jamais vous ne ferez un sous-diacre de notre neveu. »
Le bailli fut
très mécontent de ce voyage : car il prétendait que son fils épousât la
Saint-Yves : et ce fils était encore plus sot et plus insupportable que
son père.
CHAPITRE VI. L’INGÉNU COURT CHEZ SA MAÎTRESSE ET DEVIENT FURIEUX.
À
peine l’Ingénu était arrivé, qu’ayant demandé à une vieille servante où
était la chambre de sa maîtresse, il avait poussé fortement la porte
mal fermée, et s’était élancé vers le lit. Mlle de Saint-Yves, se
réveillant en sursaut, s’était écriée : « Quoi! c’est vous! ah! c’est
vous! arrêtez-vous, que faites-vous ? » Il avait répondu : « Je vous
épouse », et en effet il l’épousait, si elle ne s’était pas débattue
avec toute l’honnêteté d’une personne qui a de l’éducation.
L’Ingénu
n’entendait pas raillerie ; il trouvait toutes ces façons-là extrêmement
impertinentes. « Ce n’était pas ainsi qu’en usait Mlle Abacaba, ma
première maîtresse ; vous n’avez point de probité ; vous m’avez promis
mariage, et vous ne voulez point faire mariage : c’est manquer aux
premières lois de l’honneur ; je vous apprendrai à tenir votre parole,
et je vous remettrai dans le chemin de la vertu. »
L’Ingénu possédait
une vertu mâle et intrépide, digne de son patron Hercule, dont on lui
avait donné le nom à son baptême ; il allait l’exercer dans toute son
étendue, lorsqu’aux cris perçants de la demoiselle plus discrètement
vertueuse accourut le sage abbé de Saint-Yves, avec sa gouvernante, un
vieux domestique dévot, et un prêtre de la paroisse. Cette vue modéra le
courage de l’assaillant. « Eh, mon Dieu! mon cher voisin, lui dit
l’abbé, que faites-vous là ? — Mon devoir, répliqua le jeune homme ; je
remplis mes promesses, qui sont sacrées. »
Mlle de Saint-Yves se
rajusta en rougissant. On emmena l’Ingénu dans un autre appartement.
L’abbé lui remontra l’énormité du procédé. L’Ingénu se défendit sur les
privilèges de la loi naturelle, qu’il connaissait parfaitement. L’abbé
voulut prouver que la loi positive devait avoir tout l’avantage, et que
sans les conventions faites entre les hommes, la loi de nature ne serait
presque jamais qu’un brigandage naturel. « Il faut, lui disait-il, des
notaires, des prêtres, des témoins, des contrats, des dispenses. »
L’Ingénu lui répondit par la réflexion que les sauvages ont toujours
faite : « Vous êtes donc de bien malhonnêtes gens, puisqu’il faut entre
vous tant de précautions. »
L’abbé eut de la peine à résoudre cette
difficulté. « Il y a, dit-il, je l’avoue, beaucoup d’inconstants et de
fripons parmi nous ; et il y en aurait autant chez les Hurons s’ils
étaient rassemblés dans une grande ville ; mais aussi il y a des âmes
sages, honnêtes, éclairées, et ce sont ces hommes-là qui ont fait les
lois. Plus on est homme de bien, plus on doit s’y soumettre : on donne
l’exemple aux vicieux, qui respectent un frein que la vertu s’est donné
elle-même. »
Cette réponse frappa l’Ingénu. On a déjà remarqué qu’il
avait l’esprit juste. On l’adoucit par des paroles flatteuses ; on lui
donna des espérances : ce sont les deux pièges où les hommes des deux
hémisphères se prennent ; on lui présenta même Mlle de Saint-Yves, quand
elle eut fait sa toilette. Tout se passa avec la plus grande bienséance
; mais, malgré cette décence, les yeux étincelants de l’Ingénu Hercule
firent toujours baisser ceux de sa maîtresse, et trembler la compagnie.
On
eut une peine extrême à le renvoyer chez ses parents. Il fallut encore
employer le crédit de la belle Saint-Yves ; plus elle sentait son
pouvoir sur lui, et plus elle l’aimait. Elle le fit partir, et en fut
très affligée ; enfin, quand il fut parti, l’abbé, qui non-seulement
était le frère très aîné de Mlle de Saint-Yves, mais qui était aussi son
tuteur, prit le parti de soustraire sa pupille aux empressements de cet
amant terrible. Il alla consulter le bailli, qui, destinant toujours
son fils à la sœur de l’abbé, lui conseilla de mettre la pauvre fille
dans une communauté. Ce fut un coup terrible : une indifférente qu’on
mettrait en couvent jetterait les hauts cris ; mais une amante, et une
amante aussi sage que tendre! c’était de quoi la mettre au désespoir.
L’Ingénu,
de retour chez le prieur, raconta tout avec sa naïveté ordinaire. Il
essuya les mêmes remontrances, qui firent quelque effet sur son esprit,
et aucun sur ses sens ; mais le lendemain, quand il voulut retourner
chez sa belle maîtresse pour raisonner avec elle sur la loi naturelle et
sur la loi de convention, monsieur le bailli lui apprit avec une joie
insultante qu’elle était dans un couvent. « Eh bien! dit-il, j’irai
raisonner dans ce couvent. — Cela ne se peut, dit le bailli. » Il lui
expliqua fort au long ce que c’était qu’un couvent ou un convent ; que
ce mot venait du latin conventus, qui signifie assemblée ; et le Huron
ne pouvait comprendre pourquoi il ne pouvait pas être admis dans
l’assemblée. Sitôt qu’il fut instruit que cette assemblée était une
espèce de prison où l’on tenait les filles renfermées, chose horrible,
inconnue chez les Hurons et chez les Anglais, il devint aussi furieux
que le fut son patron Hercule lorsque Euryte, roi d’Œchalie, non moins
cruel que l’abbé de Saint-Yves, lui refusa la belle Iole sa fille, non
moins belle que la sœur de l’abbé. Il voulait aller mettre le feu au
couvent, enlever sa maîtresse, ou se brûler avec elle. Mlle de Kerkabon,
épouvantée, renonçait plus que jamais à toutes les espérances de voir
son neveu sous-diacre, et disait en pleurant qu’il avait le diable au
corps depuis qu’il était baptisé.
CHAPITRE VII. L’INGÉNU REPOUSSE LES ANGLAIS.
L’Ingénu,
plongé dans une sombre et profonde mélancolie, se promena vers le bord
de la mer, son fusil à deux coups sur l’épaule, son grand coutelas au
côté, tirant de temps en temps sur quelques oiseaux, et souvent tenté de
tirer sur lui-même ; mais il aimait encore la vie, à cause de Mlle de
Saint-Yves. Tantôt il maudissait son oncle, sa tante, toute la
Basse-Bretagne, et son baptême ; tantôt il les bénissait, puisqu’ils lui
avaient fait connaître celle qu’il aimait. Il prenait sa résolution
d’aller brûler le couvent, et il s’arrêtait tout court, de peur de
brûler sa maîtresse. Les flots de la Manche ne sont pas plus agités par
les vents d’est et d’ouest que son cœur l’était par tant de mouvements
contraires.
Il marchait à grands pas, sans savoir où, lorsqu’il
entendit le son du tambour. Il vit de loin tout un peuple dont une
moitié courait au rivage, et l’autre s’enfuyait.
Mille cris s’élèvent
de tous côtés ; la curiosité et le courage le précipitent à l’instant
vers l’endroit d’où partaient ces clameurs : il y vole en quatre bonds.
Le commandant de la milice, qui avait soupé avec lui chez le prieur, le
reconnut aussitôt ; il court à lui, les bras ouverts : « Ah! c’est
l’Ingénu, il combattra pour nous. » Et les milices, qui mouraient de
peur, se rassurèrent et crièrent aussi : « C’est l’Ingénu! c’est
l’Ingénu!
— Messieurs, dit-il, de quoi s’agit-il ? Pourquoi êtes-vous
si effarés ? A-t-on mis vos maîtresses dans des couvents ? » Alors cent
voix confuses s’écrient : « Ne voyez-vous pas les Anglais qui abordent ?
— Eh bien! répliqua le Huron, ce sont de braves gens ; ils ne m’ont
point enlevé ma maîtresse. »
Le commandant lui fit entendre que les
Anglais venaient piller l’abbaye de la Montagne, boire le vin de son
oncle, et peut-être enlever Mlle de Saint-Yves ; que le petit vaisseau
sur lequel il avait abordé en Bretagne n’était venu que pour reconnaître
la côte ; qu’ils faisaient des actes d’hostilité sans avoir déclaré la
guerre au roi de France, et que la province était exposée. « Ah! si cela
est, ils violent la loi naturelle ; laissez-moi faire ; j’ai demeuré
longtemps parmi eux, je sais leur langue, je leur parlerai ; je ne crois
pas qu’ils puissent avoir un si méchant dessein. »
Pendant cette
conversation, l’escadre anglaise approchait ; voilà le Huron qui court
vers elle, se jette dans un petit bateau, arrive, monte au vaisseau
amiral, et demande s’il est vrai qu’ils viennent ravager le pays sans
avoir déclaré la guerre honnêtement. L’amiral et tout son bord firent de
grand éclats de rire, lui firent boire du punch, et le renvoyèrent.
L’Ingénu,
piqué, ne songea plus qu’à se bien battre contre ses anciens amis, pour
ses compatriotes et pour monsieur le prieur. Les gentilshommes du
voisinage accouraient de toutes parts ; il se joint à eux : on avait
quelques canons ; il les charge, il les pointe, il les tire l’un après
l’autre. Les Anglais débarquent ; il court à eux, il en tue trois de sa
main, il blesse même l’amiral, qui s’était moqué de lui. Sa valeur anime
le courage de toute la milice ; les Anglais se rembarquent, et toute la
côte retentissait des cris de victoire : Vive le roi, vive l’Ingénu
[2]! Chacun l’embrassait, chacun s’empressait d’étancher le sang de
quelques blessures légères qu’il avait reçues. « Ah! disait-il, si Mlle
de Saint-Yves était là, elle me mettrait une compresse. »
Le bailli,
qui s’était caché dans sa cave pendant le combat, vint lui faire
compliment comme les autres. Mais il fut bien surpris quand il entendit
Hercule l’Ingénu dire à une douzaine de jeunes gens de bonne volonté,
dont il était entouré : « Mes amis, ce n’est rien d’avoir délivré
l’abbaye de la Montagne ; il faut délivrer une fille. » Toute cette
bouillante jeunesse prit feu à ces seules paroles. On le suivait déjà en
foule, on courait au couvent. Si le bailli n’avait pas sur-le-champ
averti le commandant, si on n’avait pas couru après la troupe joyeuse,
c’en était fait. On ramena l’Ingénu chez son oncle et sa tante, qui le
baignèrent de larmes de tendresse.
« Je vois bien que vous ne serez
jamais ni sous-diacre ni prieur, lui dit l’oncle ; vous serez un
officier encore plus brave que mon frère le capitaine, et probablement
aussi gueux. » Et Mlle de Kerkabon pleurait toujours en l’embrassant, et
en disant : « Il se fera tuer comme mon frère ; il vaudrait bien mieux
qu’il fût sous-diacre. »
L’Ingénu, dans le combat, avait ramassé une
grosse bourse remplie de guinées, que probablement l’amiral avait laissé
tomber. Il ne douta pas qu’avec cette bourse il ne pût acheter toute la
Basse-Bretagne, et surtout faire Mlle de Saint-Yves grande dame. Chacun
l’exhorta de faire le voyage de Versailles pour y recevoir le prix de
ses services. Le commandant, les principaux officiers, le comblèrent de
certificats. L’oncle et la tante approuvèrent le voyage du neveu. Il
devait être, sans difficulté, présenté au roi : cela seul lui donnerait
un prodigieux relief dans la province. Ces deux bonnes gens ajoutèrent à
la bourse anglaise un présent considérable de leurs épargnes. L’Ingénu
disait en lui-même : « Quand je verrai le roi, je lui demanderai Mlle de
Saint-Yves en mariage et certainement il ne me refusera pas. » Il
partit donc aux acclamations de tout le canton, étouffé d’embrassements,
baigné des larmes de sa tante, béni par son oncle, et se recommandant à
la belle Saint-Yves.
CHAPITRE VIII. L’INGÉNU VA EN COUR. IL SOUPE EN CHEMIN AVEC DES HUGUENOTS.
L’Ingénu
prit le chemin de Saumur par le coche, parce qu’il n’y avait point
alors d’autre commodité. Quand il fut à Saumur, il s’étonna de trouver
la ville presque déserte, et de voir plusieurs familles qui
déménageaient. On lui dit que, six ans auparavant, Saumur contenait plus
de quinze mille âmes, et qu’à présent il n’y en avait pas six mille. Il
ne manqua pas d’en parler à souper dans son hôtellerie. Plusieurs
protestants étaient à table : les uns se plaignaient amèrement, d’autres
frémissaient de colère, d’autres disaient en pleurant : "... Nos dulcia
linquimus arva, Nos patriam fugimus..." L’Ingénu, qui ne savait pas le
latin, se fit expliquer ces paroles, qui signifient : "Nous abandonnons
nos douces campagnes, nous fuyons notre patrie" (Virgile).
« Et
pourquoi fuyez-vous votre patrie, messieurs ? — C’est qu’on veut que
nous reconnaissions le pape. — Et pourquoi ne le reconnaîtriez-vous pas ?
Vous n’avez donc point de marraines que vous vouliez épouser ? Car on
m’a dit que c’était lui qui en donnait la permission. — Ah! monsieur, ce
pape dit qu’il est le maître du domaine des rois. — Mais, messieurs, de
quelle profession êtes-vous ? — Monsieur, nous sommes pour la plupart
des drapiers et des fabricants. — Si votre pape dit qu’il est le maître
de vos draps et de vos fabriques, vous faites très bien de ne le pas
reconnaître ; mais pour les rois, c’est leur affaire ; de quoi vous
mêlez-vous ? » Alors un petit homme noir (un ministre protestant) prit
la parole, et exposa très savamment les griefs de la compagnie. Il parla
de la révocation de l’édit de Nantes avec tant d’énergie, il déplora
d’une manière si pathétique le sort de cinquante mille familles
fugitives et de cinquante mille autres converties par les dragons, que
l’Ingénu à son tour versa des larmes. « D’où vient donc, disait-il,
qu’un si grand roi, dont la gloire s’étend jusque chez les Hurons, se
prive ainsi de tant de cœurs qui l’auraient aimé, et de tant de bras qui
l’auraient servi ?
— C’est qu’on l’a trompé comme les autres grands
rois, répondit l’homme noir. On lui a fait croire que, dès qu’il aurait
dit un mot, tous les hommes penseraient comme lui ; et qu’il nous ferait
changer de religion comme son musicien Lulli fait changer en un moment
les décorations de ses opéras. Non-seulement il perd déjà cinq à six
cent mille sujets très utiles, mais il s’en fait des ennemis ; et le roi
Guillaume, qui est actuellement maître de l’Angleterre, a composé
plusieurs régiments de ces mêmes Français qui auraient combattu pour
leur monarque.
« Un tel désastre est d’autant plus étonnant que le
pape régnant, à qui Louis XIV sacrifie une partie de son peuple, est son
ennemi déclaré. Ils ont encore tous deux, depuis neuf ans, une querelle
violente. Elle a été poussée si loin que la France a espéré enfin de
voir briser le joug qui la soumet depuis tant de siècles à cet étranger,
et surtout de ne lui plus donner d’argent : ce qui est le premier
mobile des affaires de ce monde. Il paraît donc évident qu’on a trompé
ce grand roi sur ses intérêts comme sur l’étendue de son pouvoir, et
qu’on a donné atteinte à la magnanimité de son cœur. »
L’Ingénu,
attendri de plus en plus, demanda quels étaient les Français qui
trompaient ainsi un monarque si cher aux Hurons. « Ce sont les jésuites,
lui répondit-on ; c’est surtout le P. de La Chaise, confesseur de Sa
Majesté. Il faut espérer que Dieu les en punira un jour, et qu’ils
seront chassés comme ils nous chassent. Y a-t-il un malheur égal aux
nôtres ? Mons de Louvois nous envoie de tous côtés des jésuites et des
dragons. — Oh bien! messieurs, répliqua l’Ingénu, qui ne pouvait plus se
contenir, je vais à Versailles recevoir la récompense due à mes
services ; je parlerai à ce mons de Louvois : on m’a dit que c’est lui
qui fait la guerre, de son cabinet. Je verrai le roi, je lui ferai
connaître la vérité ; il est impossible qu’on ne se rende pas à cette
vérité quand on la sent. Je reviendrai bientôt pour épouser Mlle de
Saint-Yves, et je vous prie à la noce. » Ces bonnes gens le prirent
alors pour un grand seigneur qui voyageait incognito par le coche.
Quelques-uns le prirent pour le fou du roi.
Il y avait à table un
jésuite déguisé qui servait d’espion au révérend P. de La Chaise. Il lui
rendait compte de tout, et le P. de La Chaise en instruisait mons de
Louvois. L’espion écrivit. L’Ingénu et la lettre arrivèrent presque en
même temps à Versailles.
CHAPITRE IX. ARRIVÉE DE L’INGÉNU À VERSAILLES. SA RÉCEPTION À LA COUR.
L’Ingénu
débarque en pot de chambre [21] dans la cour des cuisines. Il demande
aux porteurs de chaise à quelle heure on peut voir le roi. Les porteurs
lui rient au nez, tout comme avait fait l’amiral anglais. Il les traita
de même, il les battit ; ils voulurent le lui rendre, et la scène allait
être sanglante s’il n’eût passé un garde du corps, gentilhomme breton,
qui écarta la canaille. « Monsieur, lui dit le voyageur, vous me
paraissez un brave homme ; je suis le neveu de M. le prieur de
Notre-Dame de la Montagne ; j’ai tué des Anglais, je viens parler au roi
; je vous prie de me mener dans sa chambre. » Le garde, ravi de trouver
un brave de sa province, qui ne paraissait pas au fait des usages de la
cour, lui apprit qu’on ne parlait pas ainsi au roi, et qu’il fallait
être présenté par monseigneur de Louvois. « Eh bien! menez-moi donc chez
ce monseigneur de Louvois, qui sans doute me conduira chez Sa Majesté. —
Il est encore plus difficile, répliqua le garde, de parler à
monseigneur de Louvois qu’à Sa Majesté ; mais je vais vous conduire chez
M. Alexandre, le premier commis de la guerre : c’est comme si vous
parliez au ministre. » Ils vont donc chez ce M. Alexandre, premier
commis, et ils ne purent être introduits ; il était en affaire avec une
dame de la cour, et il y avait ordre de ne laisser entrer personne. « Eh
bien! dit le garde, il n’y a rien de perdu ; allons chez le premier
commis de M. Alexandre : c’est comme si vous parliez à M. Alexandre
lui-même. »
Le Huron, tout étonné, le suit ; ils restent ensemble une
demi-heure dans une petite antichambre. « Qu’est-ce donc que tout ceci ?
dit l’Ingénu ; est-ce que tout le monde est invisible dans ce pays-ci ?
Il est bien plus aisé de se battre en Basse-Bretagne contre des Anglais
que de rencontrer à Versailles les gens à qui on a affaire. » Il se
désennuya en racontant ses amours à son compatriote. Mais l’heure en
sonnant rappela le garde du corps à son poste. Ils se promirent de se
revoir le lendemain, et l’Ingénu resta encore une autre demi-heure dans
l’antichambre, en rêvant à Mlle de Saint-Yves, et à la difficulté de
parler aux rois et aux premiers commis.
Enfin le patron parut. «
Monsieur, lui dit l’Ingénu, si j’avais attendu pour repousser les
Anglais aussi longtemps que vous m’avez fait attendre mon audience, ils
ravageraient actuellement la Basse-Bretagne tout à leur aise. » Ces
paroles frappèrent le commis. Il dit enfin au Breton : « Que
demandez-vous ? — Récompense, dit l’autre ; voici mes titres. » Il lui
étala tous ses certificats. Le commis lut, et lui dit que probablement
on lui accorderait la permission d’acheter une lieutenance. « Moi! que
je donne de l’argent pour avoir repoussé les Anglais ? que je paye le
droit de me faire tuer pour vous, pendant que vous donnez ici vos
audiences tranquillement ? Je crois que vous voulez rire. Je veux une
compagnie de cavalerie pour rien ; je veux que le roi fasse sortir Mlle
de Saint-Yves du couvent, et qu’il me la donne par mariage ; je veux
parler au roi en faveur de cinquante mille familles que je prétends lui
rendre ; en un mot, je veux être utile : qu’on m’emploie et qu’on
m’avance.
— Comment vous nommez-vous, monsieur, qui parlez si haut ?
—
Oh! oh! reprit l’Ingénu, vous n’avez donc pas lu mes certificats ?
C’est donc ainsi qu’on en use ? Je m’appelle Hercule de Kerkabon ; je
suis baptisé, je loge au Cadran bleu, et je me plaindrai de vous au roi.
» Le commis conclut, comme les gens de Saumur, qu’il n’avait pas la
tête bien saine, et n’y fit pas grande attention.
Ce même jour, le
révérend P. La Chaise, confesseur de Louis XIV, avait reçu la lettre de
son espion, qui accusait le Breton Kerkabon de favoriser dans son cœur
les huguenots, et de condamner la conduite des jésuites. M. de Louvois,
de son côté, avait reçu une lettre de l’interrogant bailli, qui
dépeignait l’Ingénu comme un garnement qui voulait brûler les couvents
et enlever les filles.
L’Ingénu, après s’être promené dans les
jardins de Versailles, où il s’ennuya, après avoir soupé en Huron et en
Bas-Breton, s’était couché dans la douce espérance de voir le roi le
lendemain, d’obtenir Mlle de Saint-Yves en mariage ; d’avoir au moins
une compagnie de cavalerie, et de faire cesser la persécution contre les
huguenots. Il se berçait de ces flatteuses idées, quand la maréchaussée
entra dans sa chambre. Elle se saisit d’abord de son fusil à deux coups
et de son grand sabre.
On fit un inventaire de son argent comptant,
et on le mena dans le château que fit construire le roi Charles V, fils
de Jean II, auprès de la rue Saint-Antoine, à la porte des Tournelles
[22].
Quel était en chemin l’étonnement de l’Ingénu! je vous le
laisse à penser. Il crut d’abord que c’était un rêve. Il resta dans
l’engourdissement, puis tout à coup transporté d’une fureur qui
redoublait ses forces, il prend à la gorge deux de ses conducteurs, qui
étaient avec lui dans le carrosse, les jette par la portière, se jette
après eux, et entraîne le troisième, qui voulait le retenir. Il tombe de
l’effort, on le lie, on le remonte dans la voiture. « Voilà donc,
disait-il, ce que l’on gagne à chasser les Anglais de la Basse-Bretagne!
Que dirais-tu, belle Saint-Yves, si tu me voyais dans cet état ? »
On
arrive enfin au gîte qui lui était destiné. On le porte en silence dans
la chambre où il devait être enfermé, comme un mort qu’on porte dans un
cimetière. Cette chambre était déjà occupée par un vieux solitaire de
Port-Royal, nommé Gordon, qui y languissait depuis deux ans. « Tenez,
lui dit le chef des sbires, voilà de la compagnie que je vous amène » ;
et sur-le-champ on referma les énormes verrous de la porte épaisse,
revêtue de larges barres. Les deux captifs restèrent séparés de
l’univers entier.
CHAPITRE X. L’INGÉNU ENFERMÉ À LA BASTILLE AVEC UN JANSÉNISTE.
M.
Gordon était un vieillard frais et serein, qui savait deux grandes
choses : supporter l’adversité, et consoler les malheureux. Il s’avança
d’un air ouvert et compatissant vers son compagnon, et lui dit en
l’embrassant : « Qui que vous soyez, qui venez partager mon tombeau,
soyez sûr que je m’oublierai toujours moi-même pour adoucir vos
tourments dans l’abîme infernal où nous sommes plongés. Adorons la
Providence qui nous y a conduits, souffrons en paix, et espérons. » Ces
paroles firent sur l’âme de l’Ingénu l’effet des gouttes d’Angleterre
[23], qui rappellent un mourant à la vie, et lui font entr’ouvrir des
yeux étonnés.
Après les premiers compliments, Gordon, sans le presser
de lui apprendre la cause de son malheur, lui inspira, par la douceur
de son entretien, et par cet intérêt que prennent deux malheureux l’un à
l’autre, le désir d’ouvrir son cœur et de déposer le fardeau qui
l’accablait ; mais il ne pouvait deviner le sujet de son malheur ; cela
lui paraissait un effet sans cause ; et le bonhomme Gordon était aussi
étonné que lui-même.
« Il faut, dit le janséniste au Huron, que Dieu
ait de grands desseins sur vous, puisqu’il vous a conduit du lac Ontario
en Angleterre et en France, qu’il vous a fait baptiser en
Basse-Bretagne, et qu’il vous a mis ici pour votre salut [24]. — Ma foi,
répondit l’Ingénu, je crois que le diable s’est mêlé seul de ma
destinée. Mes compatriotes d’Amérique ne m’auraient jamais traité avec
la barbarie que j’éprouve : ils n’en ont pas d’idée. On les appelle
sauvages ; ce sont des gens de bien grossiers, et les hommes de ce
pays-ci sont des coquins raffinés. Je suis, à la vérité, bien surpris
d’être venu d’un autre monde pour être enfermé dans celui-ci sous quatre
verrous avec un prêtre ; mais je fais réflexion au nombre prodigieux
d’hommes qui partent d’un hémisphère pour aller se faire tuer dans
l’autre, ou qui font naufrage en chemin, et qui sont mangés des poissons
: je ne vois pas les gracieux desseins de Dieu sur tous ces gens-là. »
On
leur apporta à dîner par un guichet. La conversation roula sur la
Providence, sur les lettres de cachet, et sur l’art de ne pas succomber
aux disgrâces auxquelles tout homme est exposé dans ce monde. « Il y a
deux ans que je suis ici, dit le vieillard, sans autre consolation que
moi-même et des livres ; je n’ai pas eu un moment de mauvaise humeur.
—
Ah! monsieur Gordon, s’écria l’Ingénu, vous n’aimez donc pas votre
marraine ? Si vous connaissiez comme moi Mlle de Saint-Yves, vous seriez
au désespoir. » À ces mots il ne put retenir ses larmes, et il se
sentit alors un peu moins oppressé. « Mais, dit-il, pourquoi donc les
larmes soulagent-elles ? Il me semble qu’elles devraient faire un effet
contraire.
— Mon fils, tout est physique en nous, dit le bon
vieillard ; toute sécrétion fait du bien au corps ; et tout ce qui le
soulage soulage l’âme : nous sommes les machines de la Providence. »
L’Ingénu,
qui, comme nous l’avons dit plusieurs fois, avait un grand fonds
d’esprit, fit de profondes réflexions sur cette idée, dont il semblait
qu’il avait la semence en lui-même. Après quoi il demanda à son
compagnon pourquoi sa machine était depuis deux ans sous quatre verrous.
« Par la grâce efficace, répondit Gordon ; je passe pour janséniste :
j’ai connu Arnauld et Nicole ; les jésuites nous ont persécutés [25].
Nous croyons que le pape n’est qu’un évêque comme un autre ; et c’est
pour cela que le P. de la Chaise a obtenu du roi, son pénitent, un ordre
de me ravir, sans aucune formalité de justice, le bien le plus précieux
des hommes, la liberté.
— Voilà qui est bien étrange, dit l’Ingénu ;
tous les malheureux que j’ai rencontrés ne le sont qu’à cause du pape. À
l’égard de votre grâce efficace, je vous avoue que je n’y entends rien ;
mais je regarde comme une grande grâce que Dieu m’ait fait trouver dans
mon malheur un homme comme vous, qui verse dans mon cœur des
consolations dont je me croyais incapable. »
Chaque jour la
conversation devenait plus intéressante et plus instructive. Les âmes
des deux captifs s’attachaient l’une à l’autre. Le vieillard savait
beaucoup, et le jeune homme voulait beaucoup apprendre. Au bout d’un
mois il étudia la géométrie ; il la dévorait. Gordon lui fit lire la
physique de Rohault [26], qui était encore à la mode, et il eut le bon
esprit de n’y trouver que des incertitudes.
Ensuite il lut le premier
volume de la Recherche de la vérité [27]. Cette nouvelle lumière
l’éclaira. « Quoi! dit-il, notre imagination et nos sens nous trompent à
ce point! quoi! les objets ne forment point nos idées, et nous ne
pouvons nous les donner nous-mêmes! » Quand il eut lu le second volume,
il ne fut plus si content, et il conclut qu’il est plus aisé de détruire
que de bâtir.
Son confrère, étonné qu’un jeune ignorant fît cette
réflexion, qui n’appartient qu’aux âmes exercées, conçut une grande idée
de son esprit, et s’attacha à lui davantage.
« Votre Malebranche,
lui dit un jour l’Ingénu, me paraît avoir écrit la moitié de son livre
avec sa raison, et l’autre avec son imagination et ses préjugés. »
Quelques
jours après, Gordon lui demanda : « Que pensez-vous donc de l’âme, de
la manière dont nous recevons nos idées, de notre volonté, de la grâce,
du libre arbitre ?
— Rien, lui repartit l’Ingénu ; si je pensais
quelque chose, c’est que nous sommes sous la puissance de l’Être éternel
comme les astres et les éléments ; qu’il fait tout en nous, que nous
sommes de petites roues de la machine immense dont il est l’âme ; qu’il
agit par des lois générales, et non par des vues particulières : cela
seul me paraît intelligible ; tout le reste est pour moi un abîme de
ténèbres.
— Mais, mon fils, ce serait faire Dieu auteur du péché.
—
Mais, mon père, votre grâce efficace ferait Dieu auteur du péché aussi :
car il est certain que tous ceux à qui cette grâce serait refusée
pécheraient ; et qui nous livre au mal n’est-il pas l’auteur du mal ? »
Cette
naïveté embarrassait fort le bonhomme ; il sentait qu’il faisait de
vains efforts pour se tirer de ce bourbier ; et il entassait tant de
paroles qui paraissaient avoir du sens et qui n’en avaient point (dans
le goût de la prémotion physique [28]), que l’Ingénu en avait pitié.
Cette question tenait évidemment à l’origine du bien et du mal ; et
alors il fallait que le pauvre Gordon passât en revue la boîte de
Pandore, l’œuf d’Orosmade percé par Arimane [29], l’inimitié entre
Typhon et Osiris, et enfin le péché originel ; et ils couraient l’un et
l’autre dans cette nuit profonde, sans jamais se rencontrer. Mais enfin
ce roman de l’âme détournait leur vue de la contemplation de leur propre
misère, et, par un charme étrange, la foule des calamités répandues sur
l’univers diminuait la sensation de leurs peines : ils n’osaient se
plaindre quand tout souffrait.
Mais, dans le repos de la nuit,
l’image de la belle Saint-Yves effaçait dans l’esprit de son amant
toutes les idées de métaphysique et de morale. Il se réveillait les yeux
mouillés de larmes ; et le vieux janséniste oubliait sa grâce efficace,
et l’abbé de Saint-Cyran, et Jansénius [30], pour consoler un jeune
homme qu’il croyait en péché mortel.
Après leurs lectures, après
leurs raisonnements, ils parlaient encore de leurs aventures ; et, après
en avoir inutilement parlé, ils lisaient ensemble ou séparément.
L’esprit du jeune homme se fortifiait de plus en plus. Il serait surtout
allé très loin en mathématiques sans les distractions que lui donnait
Mlle de Saint-Yves.
Il lut des histoires, elles l’attristèrent. Le
monde lui parut trop méchant et trop misérable. En effet, l’histoire
n’est que le tableau des crimes et des malheurs. La foule des hommes
innocents et paisibles disparaît toujours sur ces vastes théâtres. Les
personnages ne sont que des ambitieux pervers. Il semble que l’histoire
ne plaise que comme la tragédie, qui languit si elle n’est animée par
les passions, les forfaits, et les grandes infortunes. Il faut armer
Clio du poignard comme Melpomène.
Quoique l’histoire de France soit
remplie d’horreurs, ainsi que toutes les autres, cependant elle lui
parut si dégoûtante dans ses commencements, si sèche dans son milieu, si
petite enfin, même du temps de Henri IV, toujours si dépourvue de
grands monuments, si étrangère à ces belles découvertes qui ont illustré
d’autres nations, qu’il était obligé de lutter contre l’ennui pour lire
tous ces détails de calamités obscures resserrées dans un coin du
monde.
Gordon pensait comme lui. Tous deux riaient de pitié quand il
était question des souverains de Fezensac [31], de Fesansaguet, et
d’Astarac. Cette étude en effet ne serait bonne que pour leurs
héritiers, s’ils en avaient. Les beaux siècles de la république romaine
le rendirent quelque temps indifférent pour le reste de la terre. Le
spectacle de Rome victorieuse et législatrice des nations occupait son
âme entière. Il s’échauffait en contemplant ce peuple qui fut gouverné
sept cents ans par l’enthousiasme de la liberté et de la gloire.
Ainsi
se passaient les jours, les semaines, les mois ; et il se serait cru
heureux dans le séjour du désespoir, s’il n’avait point aimé.
Son bon
naturel s’attendrissait encore sur le prieur de Notre-Dame de la
Montagne, et sur la sensible Kerkabon. « Que penseront-ils, répétait-il
souvent, quand ils n’auront point de mes nouvelles ? Ils me croiront un
ingrat. » Cette idée le tourmentait ; il plaignait ceux qui l’aimaient,
beaucoup plus qu’il ne se plaignait lui-même.
CHAPITRE XI. COMMENT L’INGÉNU DÉVELOPPE SON GÉNIE.
La
lecture agrandit l’âme, et un ami éclairé la console. Notre captif
jouissait de ces deux avantages, qu’il n’avait pas soupçonnés
auparavant. « Je serais tenté, dit-il, de croire aux métamorphoses, car
j’ai été changé de brute en homme. » Il se forma une bibliothèque
choisie d’une partie de son argent dont on lui permettait de disposer.
Son ami l’encouragea à mettre par écrit ses réflexions. Voici ce qu’il
écrivit sur l’histoire ancienne :
« Je m’imagine que les nations ont
été longtemps comme moi, qu’elles ne se sont instruites que fort tard,
qu’elles n’ont été occupées pendant des siècles que du moment présent
qui coulait, très peu du passé, et jamais de l’avenir. J’ai parcouru
cinq ou six cents lieues du Canada, je n’y ai pas trouvé un seul
monument ; personne n’y sait rien de ce qu’a fait son bisaïeul. Ne
serait-ce pas là l’état naturel de l’homme ? L’espèce de ce continent-ci
me paraît supérieure à celle de l’autre. Elle a augmenté son être
depuis plusieurs siècles par les arts et par les connaissances. Est-ce
parce qu’elle a de la barbe au menton, et que Dieu a refusé la barbe aux
Américains ? Je ne le crois pas : car je vois que les Chinois n’ont
presque point de barbe, et qu’ils cultivent les arts depuis plus de cinq
mille années. En effet, s’ils ont plus de quatre mille ans d’annales,
il faut bien que la nation ait été rassemblée et florissante depuis plus
de cinquante siècles.
« Une chose me frappe surtout dans cette
ancienne histoire de la Chine, c’est que presque tout y est
vraisemblable et naturel. Je l’admire en ce qu’il n’y a rien de
merveilleux.
« Pourquoi toutes les autres nations se sont-elles donné
des origines fabuleuses ? Les anciens chroniqueurs de l’histoire de
France, qui ne sont pas fort anciens, font venir les Français d’un
Francus, fils d’Hector ; les Romains se disaient issus d’un Phrygien,
quoiqu’il n’y eût pas dans leur langue un seul mot qui eût le moindre
rapport à la langue de Phrygie ; les dieux avaient habité dix mille ans
en Égypte, et les diables, en Scythie, où ils avaient engendré les Huns.
Je ne vois avant Thucydide que des romans semblables aux Amadis [3], et
beaucoup moins amusants. Ce sont partout des apparitions, des oracles,
des prodiges, des sortilèges, des métamorphoses, des songes expliqués,
et qui font la destinée des plus grands empires et des plus petits États
: ici des bêtes qui parlent, là des bêtes qu’on adore, des dieux
transformés en hommes, et des hommes transformés en dieux. Ah! s’il nous
faut des fables, que ces fables soient du moins l’emblème de la vérité!
J’aime les fables des philosophes, je ris de celles des enfants, et je
hais celles des imposteurs. »
Il tomba un jour sur une histoire de
l’empereur Justinien. On y lisait que des apédeutes [32] de
Constantinople avaient donné, en très mauvais grec, un édit contre le
plus grand capitaine du siècle [33], parce que ce héros avait prononcé
ces paroles dans la chaleur de la conversation : « La vérité luit de sa
propre lumière, et on n’éclaire pas les esprits avec les flammes des
bûchers [34]. » Les apédeutes assurèrent que cette proposition était
hérétique, sentant l’hérésie, et que l’axiome contraire était
catholique, universel, et grec : « On n’éclaire les esprits qu’avec la
flamme des bûchers, et la vérité ne saurait luire de sa propre lumière. »
Ces linostoles [35] condamnèrent ainsi plusieurs discours du capitaine,
et donnèrent un édit.
« Quoi! s’écria l’Ingénu, des édits rendus par ces gens-là!
—
Ce ne sont point des édits, répliqua Gordon, ce sont des contr’édits
[36] dont tout le monde se moquait à Constantinople, et l’empereur tout
le premier : c’était un sage prince, qui avait su réduire les apédeutes
linostoles à ne pouvoir faire que du bien. Il savait que ces
messieurs-là et plusieurs autres pastophores [37] avaient lassé de
contr’édits la patience des empereurs ses prédécesseurs en matière plus
grave.
— Il fit fort bien, dit l’Ingénu ; on doit soutenir les pastophores et les contenir. »
Il
mit par écrit beaucoup d’autres réflexions qui épouvantèrent le vieux
Gordon. « Quoi! dit-il en lui-même, j’ai consumé cinquante ans à
m’instruire, et je crains de ne pouvoir atteindre au bon sens naturel de
cet enfant presque sauvage! je tremble d’avoir laborieusement fortifié
des préjugés ; il n’écoute que la simple nature. »
Le bonhomme avait
quelques-uns de ces petits livres de critique, de ces brochures
périodiques où des hommes incapables de rien produire dénigrent les
productions des autres, où les Visé [38] insultent aux Racine, et les
Faydit [39] aux Fénelon. L’Ingénu en parcourut quelques-uns. « Je les
compare, disait-il, à certains moucherons qui vont déposer leurs œufs
dans le derrière des plus beaux chevaux : cela ne les empêche pas de
courir. » À peine les deux philosophes daignèrent-ils jeter les yeux sur
ces excréments de la littérature.
Ils lurent bientôt ensemble les
éléments de l’astronomie ; l’Ingénu fit venir des sphères : ce grand
spectacle le ravissait. « Qu’il est dur, disait-il, de ne commencer à
connaître le ciel que lorsqu’on me ravit le droit de le contempler!
Jupiter et Saturne roulent dans ces espaces immenses ; des millions de
soleils éclairent des milliards de mondes ; et dans le coin de terre où
je suis jeté, il se trouve des êtres qui me privent, moi être voyant et
pensant, de tous ces mondes où ma vue pourrait atteindre, et de celui où
Dieu m’a fait naître! La lumière faite pour tout l’univers est perdue
pour moi. On ne me la cachait pas dans l’horizon septentrional où j’ai
passé mon enfance et ma jeunesse. Sans vous, mon cher Gordon, je serais
ici dans le néant. »
CHAPITRE XII. CE QUE L’INGÉNU PENSE DES PIÈCES DE THÉÂTRE.
Le
jeune Ingénu ressemblait à un de ces arbres vigoureux qui, nés dans un
sol ingrat, étendent en peu de temps leurs racines et leurs branches
quand ils sont transplantés dans un terrain favorable ; et il était bien
extraordinaire qu’une prison fût ce terrain.
Parmi les livres qui
occupaient le loisir des deux captifs, il se trouva des poésies, des
traductions de tragédies grecques, quelques pièces du théâtre français.
Les vers qui parlaient d’amour portèrent à la fois dans l’âme de
l’Ingénu le plaisir et la douleur. Ils lui parlaient tous de sa chère
Saint-Yves. La fable des deux Pigeons [40] lui perça le cœur ; il était
bien loin de pouvoir revenir à son colombier.
Molière l’enchanta. Il
lui faisait connaître les mœurs de Paris et du genre humain. « À
laquelle de ses comédies donnez-vous la préférence ?
— Au Tartuffe, sans difficulté.
—
Je pense comme vous, dit Gordon ; c’est un tartufe qui m’a plongé dans
ce cachot, et peut-être ce sont des tartufes qui ont fait votre malheur.
Comment trouvez-vous ces tragédies grecques ?
— Bonnes pour des
Grecs, dit l’Ingénu. » Mais quand il lut l’Iphigénie moderne, Phèdre,
Andromaque, Athalie, il fut en extase, il soupira, il versa des larmes,
il les sut par cœur sans avoir envie de les apprendre.
« Lisez
Rodogune, lui dit Gordon ; on dit que c’est le chef-d’œuvre du théâtre ;
les autres pièces qui vous ont fait tant de plaisir sont peu de chose
en comparaison. » Le jeune homme, dès la première page, lui dit : « Cela
n’est pas du même auteur.
— À quoi le voyez-vous ?
— Je n’en sais rien encore ; mais ces vers-là ne vont ni à mon oreille ni à mon cœur.
— Oh! ce n’est rien que les vers », répliqua Gordon.
L’Ingénu répondit : « Pourquoi donc en faire ? »
Après
avoir lu très attentivement la pièce, sans autre dessein que celui
d’avoir du plaisir, il regardait son ami avec des yeux secs et étonnés,
et ne savait que dire. Enfin, pressé de rendre compte de ce qu’il avait
senti, voici ce qu’il répondit : « Je n’ai guère entendu le commencement
; j’ai été révolté du milieu ; la dernière scène m’a beaucoup ému,
quoiqu’elle me paraisse peu vraisemblable : je ne me suis intéressé pour
personne, et je n’ai pas retenu vingt vers, moi qui les retiens tous
quand ils me plaisent.
— Cette pièce passe pourtant pour la meilleure que nous ayons.
—
Si cela est, répliqua-t-il, elle est peut-être comme bien des gens qui
ne méritent pas leurs places. Après tout, c’est ici une affaire de goût ;
le mien ne doit pas encore être formé : je peux me tromper ; mais vous
savez que je suis assez accoutumé à dire ce que je pense, ou plutôt ce
que je sens. Je soupçonne qu’il y a souvent de l’illusion, de la mode,
du caprice, dans les jugements des hommes. J’ai parlé d’après la nature ;
il se peut que chez moi la nature soit très imparfaite ; mais il se
peut aussi qu’elle soit quelquefois peu consultée par la plupart des
hommes. » Alors il récita des vers d’Iphigénie, dont il était plein ; et
quoiqu’il ne déclamât pas bien, il y mit tant de vérité et d’onction
qu’il fit pleurer le vieux janséniste. Il lut ensuite Cinna ; il ne
pleura point, mais il admira.
CHAPITRE XIII. LA BELLE SAINT-YVES VA À VERSAILLES.
Pendant
que notre infortuné s’éclairait plus qu’il ne se consolait ; pendant
que son génie, étouffé depuis si longtemps, se déployait avec tant de
rapidité et de force ; pendant que la nature, qui se perfectionnait en
lui, le vengeait des outrages de la fortune, que devinrent monsieur le
prieur et sa bonne sœur, et la belle recluse Saint-Yves ? Le premier
mois, on fut inquiet, et au troisième on fut plongé dans la douleur :
les fausses conjectures, les bruits mal fondés, alarmèrent ; au bout de
six mois, on le crut mort. Enfin M. et Mlle de Kerkabon apprirent, par
une ancienne lettre qu’un garde du roi avait écrite en Bretagne, qu’un
jeune homme semblable à l’Ingénu était arrivé un soir à Versailles, mais
qu’il avait été enlevé pendant la nuit, et que depuis ce temps personne
n’en avait entendu parler.
« Hélas! dit Mlle de Kerkabon, notre
neveu aura fait quelque sottise, et se sera attiré de fâcheuses
affaires. Il est jeune, il est Bas-Breton, il ne peut savoir comme on
doit se comporter à la cour. Mon cher frère, je n’ai jamais vu
Versailles ni Paris ; voici une belle occasion, nous retrouverons
peut-être notre pauvre neveu : c’est le fils de notre frère ; notre
devoir est de le secourir. Qui sait si nous ne pourrons point parvenir
enfin à le faire sous-diacre, quand la fougue de la jeunesse sera
amortie ? Il avait beaucoup de dispositions pour les sciences. Vous
souvenez-vous comme il raisonnait sur l’Ancien et sur le Nouveau
Testament ? Nous sommes responsables de son âme ; c’est nous qui l’avons
fait baptiser ; sa chère maîtresse Saint-Yves passe les journées à
pleurer. En vérité il faut aller à Paris. S’il est caché dans quelqu’une
de ces vilaines maisons de joie dont on m’a fait tant de récits, nous
l’en tirerons. » Le prieur fut touché des discours de sa sœur. Il alla
trouver l’évêque de Saint-Malo, qui avait baptisé le Huron, et lui
demanda sa protection et ses conseils. Le prélat approuva le voyage. Il
donna au prieur des lettres de recommandation pour le P. de La Chaise,
confesseur du roi, qui avait la première dignité du royaume, pour
l’archevêque de Paris Harlay, et pour l’évêque de Meaux Bossuet.
Enfin
le frère et la sœur partirent ; mais, quand ils furent arrivés à Paris,
ils se trouvèrent égarés comme dans un vaste labyrinthe, sans fil et
sans issue. Leur fortune était médiocre, et il leur fallait tous les
jours des voitures pour aller à la découverte, et ils ne découvraient
rien.
Le prieur se présenta chez le révérend P. de La Chaise : il
était avec Mlle du Tron, et ne pouvait donner audience à des prieurs. Il
alla à la porte de l’archevêque : le prélat [41] était enfermé avec la
belle Mme de Lesdiguières pour les affaires de l’Église. Il courut à la
maison de campagne de l’évêque de Meaux : celui-ci examinait, avec Mlle
de Mauléon, l’amour mystique de Mme Guyon. Cependant il parvint à se
faire entendre de ces deux prélats ; tous deux lui déclarèrent qu’ils ne
pouvaient se mêler de son neveu, attendu qu’il n’était pas sous-diacre.
Enfin
il vit le jésuite ; celui-ci le reçut à bras ouverts, lui protesta
qu’il avait toujours eu pour lui une estime particulière, ne l’ayant
jamais connu. Il jura que la Société avait toujours été attachée aux
Bas-Bretons. « Mais, dit-il, votre neveu n’aurait-il pas le malheur
d’être huguenot ? — Non, assurément, mon révérend père. — Serait-il
point janséniste ? — Je puis assurer à Votre Révérence qu’à peine est-il
chrétien : il y a environ onze mois que nous l’avons baptisé. — Voilà
qui est bien, voilà qui est bien ; nous aurons soin de lui. Votre
bénéfice est-il considérable ? — Oh! fort peu de chose, et mon neveu
nous coûte beaucoup. — Y a-t-il quelques jansénistes dans le voisinage ?
Prenez bien garde, mon cher monsieur le prieur, ils sont plus dangereux
que les huguenots et les athées. — Mon révérend père, nous n’en avons
point ; on ne sait ce que c’est que le jansénisme à Notre-Dame de la
Montagne. — Tant mieux ; allez, il n’y a rien que je ne fasse pour vous.
» Il congédia affectueusement le prieur, et n’y pensa plus.
Le temps s’écoulait, le prieur et la bonne sœur se désespéraient.
Cependant
le maudit bailli pressait le mariage de son grand benêt de fils avec la
belle Saint-Yves, qu’on avait fait sortir exprès du couvent. Elle
aimait toujours son cher filleul autant qu’elle détestait le mari qu’on
lui présentait. L’affront d’avoir été mise dans un couvent augmentait sa
passion ; l’ordre d’épouser le fils du bailli y mettait le comble. Les
regrets, la tendresse, et l’horreur bouleversaient son âme. L’amour,
comme on sait, est bien plus ingénieux et plus hardi dans une jeune
fille que l’amitié ne l’est dans un vieux prieur et dans une tante de
quarante-cinq ans passés. De plus, elle s’était bien formée dans son
couvent par les romans qu’elle avait lus à la dérobée.
La belle
Saint-Yves se souvenait de la lettre qu’un garde du corps avait écrite
en Basse-Bretagne, et dont on avait parlé dans la province. Elle résolut
d’aller elle-même prendre des informations à Versailles ; de se jeter
aux pieds des ministres, si son mari était en prison, comme on le
disait, et d’obtenir justice pour lui. Je ne sais quoi l’avertissait
secrètement qu’à la cour on ne refuse rien à une jolie fille ; mais elle
ne savait pas ce qu’il en coûtait.
Sa résolution prise, elle est
consolée, elle est tranquille, elle ne rebute plus son sot prétendu ;
elle accueille le détestable beau-père, caresse son frère, répand
l’allégresse dans la maison ; puis, le jour destiné à la cérémonie, elle
part secrètement à quatre heures du matin avec ses petits présents de
noce, et tout ce qu’elle a pu rassembler. Ses mesures étaient si bien
prises qu’elle était déjà à plus de dix lieues lorsqu’on entra dans sa
chambre, vers le midi. La surprise et la consternation furent grandes.
L’interrogant bailli fit ce jour-là plus de questions qu’il n’en avait
faites dans toute la semaine ; le mari resta plus sot qu’il ne l’avait
jamais été. L’abbé de Saint-Yves, en colère, prit le parti de courir
après sa sœur. Le bailli et son fils voulurent l’accompagner. Ainsi la
destinée conduisait à Paris presque tout ce canton de la Basse-Bretagne.
La
belle Saint-Yves se doutait bien qu’on la suivrait. Elle était à cheval
; elle s’informait adroitement des courriers s’ils n’avaient point
rencontré un gros abbé, un énorme bailli, et un jeune benêt, qui
couraient sur le chemin de Paris. Ayant appris au troisième jour qu’ils
n’étaient pas loin, elle prit une route différente, et eut assez
d’habileté et de bonheur pour arriver à Versailles tandis qu’on la
cherchait inutilement dans Paris.
Mais comment se conduire à
Versailles ? Jeune, belle, sans conseil, sans appui, inconnue, exposée à
tout, comment oser chercher un garde du roi ? Elle imagina de
s’adresser à un jésuite du bas étage ; il y en avait pour toutes les
conditions de la vie, comme Dieu, disaient-ils, a donné différentes
nourritures aux diverses espèces d’animaux, il avait donné au roi son
confesseur, que tous les solliciteurs de bénéfices appelaient le chef de
l’Église gallicane ; ensuite venaient les confesseurs des princesses ;
les ministres n’en avaient point : ils n’étaient pas si sots. Il y avait
les jésuites du grand commun, et surtout les jésuites des femmes de
chambre par lesquelles on savait les secrets des maîtresses ; et ce
n’était pas un petit emploi. La belle Saint-Yves s’adressa à un de ces
derniers, qui s’appelait le P. Tout-à-tous. Elle se confessa à lui, lui
exposa ses aventures, son état, son danger, et le conjura de la loger
chez quelque bonne dévote qui la mît à l’abri des tentations.
Le P.
Tout-à-tous l’introduisit chez la femme d’un officier du gobelet, l’une
de ses plus affidées pénitentes. Dès qu’elle y fut, elle s’empressa de
gagner la confiance et l’amitié de cette femme ; elle s’informa du garde
breton, et le fit prier de venir chez elle. Ayant su de lui que son
amant avait été enlevé après avoir parlé à un premier commis, elle court
chez ce commis : la vue d’une belle femme l’adoucit, car il faut
convenir que Dieu n’a créé les femmes que pour apprivoiser les hommes.
Le
plumitif attendri lui avoua tout. « Votre amant est à la Bastille
depuis près d’un an, et sans vous il y serait peut-être toute sa vie. »
La tendre Saint-Yves s’évanouit. Quand elle eut repris ses sens, le
plumitif lui dit : « Je suis sans crédit pour faire du bien ; tout mon
pouvoir se borne à faire du mal quelquefois. Croyez-moi, allez chez M.
de Saint-Pouange, qui fait le bien et le mal, cousin et favori de
monseigneur de Louvois. Ce ministre a deux âmes : M. de Saint-Pouange en
est une ; Mme Dufresnoy [42], l’autre ; mais elle n’est pas à présent à
Versailles ; il ne vous reste que de fléchir le protecteur que je vous
indique. »
La belle Saint-Yves, partagée entre un peu de joie et
d’extrêmes douleurs, entre quelque espérance et de tristes craintes,
poursuivie par son frère, adorant son amant, essuyant ses larmes et en
versant encore, tremblante, affaiblie, et reprenant courage, courut vite
chez M. de Saint-Pouange.
CHAPITRE XIV. PROGRÈS DE L’ESPRIT DE L’INGÉNU.
L’Ingénu
faisait des progrès rapides dans les sciences, et surtout dans la
science de l’homme. La cause du développement rapide de son esprit était
due à son éducation sauvage presque autant qu’à la trempe de son âme :
car, n’ayant rien appris dans son enfance, il n’avait point appris de
préjugés. Son entendement, n’ayant point été courbé par l’erreur, était
demeuré dans toute sa rectitude. Il voyait les choses comme elles sont,
au lieu que les idées qu’on nous donne dans l’enfance nous les font voir
toute notre vie comme elles ne sont point. « Vos persécuteurs sont
abominables, disait-il à son ami Gordon. Je vous plains d’être opprimé,
mais je vous plains d’être janséniste. Toute secte me paraît le
ralliement de l’erreur. Dites-moi s’il y a des sectes en géométrie ?
—
Non, mon cher enfant, lui dit en soupirant le bon Gordon ; tous les
hommes sont d’accord sur la vérité quand elle est démontrée, mais ils
sont trop partagés sur les vérités obscures.
— Dites sur les
faussetés obscures. S’il y avait eu une seule vérité cachée dans vos
amas d’arguments qu’on ressasse depuis tant de siècles, on l’aurait
découverte sans doute ; et l’univers aurait été d’accord au moins sur ce
point-là. Si cette vérité était nécessaire comme le soleil l’est à la
terre, elle serait brillante comme lui. C’est une absurdité, c’est un
outrage au genre humain, c’est un attentat contre l’Être infini et
suprême de dire : il y a une vérité essentielle à l’homme, et Dieu l’a
cachée. »
Tout ce que disait ce jeune ignorant, instruit par la
nature, faisait une impression profonde sur l’esprit du vieux savant
infortuné. « Serait-il bien vrai, s’écria-t-il, que je me fusse rendu
réellement malheureux pour des chimères ? Je suis bien plus sûr de mon
malheur que de la grâce efficace. J’ai consumé mes jours à raisonner sur
la liberté de Dieu et du genre humain ; mais j’ai perdu la mienne ; ni
saint Augustin ni saint Prosper ne me tireront de l’abîme où je suis. »
L’Ingénu,
livré à son caractère, dit enfin : « Voulez-vous que je vous parle avec
une confiance hardie ? Ceux qui se font persécuter pour ces vaines
disputes de l’école me semblent peu sages ; ceux qui persécutent me
paraissent des monstres. »
Les deux captifs étaient fort d’accord sur
l’injustice de leur captivité. « Je suis cent fois plus à plaindre que
vous, disait l’Ingénu ; je suis né libre comme l’air ; j’avais deux
vies, la liberté et l’objet de mon amour : on me les ôte. Nous voici
tous deux dans les fers, sans en savoir la raison et sans pouvoir la
demander. J’ai vécu Huron vingt ans ; on dit que ce sont des barbares,
parce qu’ils se vengent de leurs ennemis ; mais ils n’ont jamais opprimé
leurs amis. À peine ai-je mis le pied en France, que j’ai versé mon
sang pour elle ; j’ai peut-être sauvé une province, et pour récompense
je suis englouti dans ce tombeau des vivants, où je serais mort de rage
sans vous. Il n’y a donc point de lois dans ce pays ? On condamne les
hommes sans les entendre! Il n’en est pas ainsi en Angleterre. Ah! ce
n’était pas contre les Anglais que je devais me battre. » Ainsi sa
philosophie naissante ne pouvait dompter la nature outragée dans le
premier de ses droits, et laissait un libre cours à sa juste colère.
Son
compagnon ne le contredit point. L’absence augmente toujours l’amour
qui n’est pas satisfait, et la philosophie ne le diminue pas. Il parlait
aussi souvent de sa chère Saint-Yves que de morale et de métaphysique.
Plus ses sentiments s’épuraient, et plus il aimait. Il lut quelques
romans nouveaux ; il en trouva peu qui lui peignissent la situation de
son âme. Il sentait que son cœur allait toujours au-delà de ce qu’il
lisait. « Ah! disait-il, presque tous ces auteurs-là n’ont que de
l’esprit et de l’art. » Enfin le bon prêtre janséniste devenait
insensiblement le confident de sa tendresse. Il ne connaissait l’amour
auparavant que comme un péché dont on s’accuse en confession. Il apprit à
le connaître comme un sentiment aussi noble que tendre, qui peut élever
l’âme autant que l’amollir, et produire même quelquefois des vertus.
Enfin, pour dernier prodige, un Huron convertissait un janséniste.
CHAPITRE XV. LA BELLE SAINT-YVES RÉSISTE À DES PROPOSITIONS DÉLICATES.
La
belle Saint-Yves, plus tendre encore que son amant, alla donc chez M.
de Saint-Pouange, accompagnée de l’amie chez qui elle logeait, toutes
deux cachées dans leurs coiffes. La première chose qu’elle vit à la
porte ce fut l’abbé de Saint-Yves, son frère, qui en sortait. Elle fut
intimidée ; mais la dévote amie la rassura. « C’est précisément parce
qu’on a parlé contre vous qu’il faut que vous parliez. Soyez sûre que
dans ce pays les accusateurs ont toujours raison si on ne se hâte de les
confondre. Votre présence d’ailleurs, ou je me trompe fort, fera plus
d’effet que les paroles de votre frère. »
Pour peu qu’on encourage
une amante passionnée, elle est intrépide. La Saint-Yves se présente à
l’audience. Sa jeunesse, ses charmes, ses yeux tendres mouillés de
quelques pleurs, attirèrent tous les regards. Chaque courtisan du
sous-ministre oublia un moment l’idole du pouvoir pour contempler celle
de la beauté. Le Saint-Pouange la fit entrer dans un cabinet ; elle
parla avec attendrissement et avec grâce. Saint-Pouange se sentit
touché. Elle tremblait, il la rassura. « Revenez ce soir, lui dit-il ;
vos affaires méritent qu’on y pense et qu’on en parle à loisir ; il y a
ici trop de monde ; on expédie les audiences trop rapidement : il faut
que je vous entretienne à fond de tout ce qui vous regarde. » Ensuite,
ayant fait l’éloge de sa beauté et de ses sentiments, il lui recommanda
de venir à sept heures du soir [43].
Elle n’y manqua pas ; la dévote
amie l’accompagna encore, mais elle se tint dans le salon, et lut le
Pédagogue chrétien [44], pendant que le Saint-Pouange et la belle
Saint-Yves étaient dans l’arrière-cabinet. « Croiriez-vous bien,
mademoiselle, lui dit-il d’abord, que votre frère est venu me demander
une lettre de cachet contre vous ? En vérité j’en expédierais plutôt une
pour le renvoyer en Basse-Bretagne. — Hélas! monsieur, on est donc bien
libéral de lettres de cachet dans vos bureaux, puisqu’on en vient
solliciter du fond du royaume, comme des pensions. Je suis bien loin
d’en demander une contre mon frère. J’ai beaucoup à me plaindre de lui,
mais je respecte la liberté des hommes ; je demande celle d’un homme que
je veux épouser, d’un homme à qui le roi doit la conservation d’une
province, qui peut le servir utilement, et qui est fils d’un officier
tué à son service. De quoi est-il accusé ? Comment a-t-on pu le traiter
si cruellement sans l’entendre ? »
Alors le sous-ministre lui montra
la lettre du jésuite espion et celle du perfide bailli. « Quoi! il y a
de pareils monstres sur la terre! et on veut me forcer ainsi à épouser
le fils ridicule d’un homme ridicule et méchant! et c’est sur de pareils
avis qu’on décide ici de la destinée des citoyens! » Elle se jeta à
genoux, elle demanda avec des sanglots la liberté du brave homme qui
l’adorait. Ses charmes dans cet état parurent dans leur plus grand
avantage. Elle était si belle que le Saint-Pouange, perdant toute honte,
lui insinua qu’elle réussirait si elle commençait par lui donner les
prémices de ce qu’elle réservait à son amant. La Saint-Yves, épouvantée
et confuse, feignit longtemps de ne le pas entendre ; il fallut
s’expliquer plus clairement. Un mot lâché d’abord avec retenue en
produisait un plus fort, suivi d’un autre plus expressif. On offrit
non-seulement la révocation de la lettre de cachet, mais des
récompenses, de l’argent, des honneurs, des établissements ; et plus on
promettait, plus le désir de n’être pas refusé augmentait.
La
Saint-Yves pleurait, elle était suffoquée, à demi renversée sur un sofa,
croyant à peine ce qu’elle voyait, ce qu’elle entendait. Le
Saint-Pouange, à son tour, se jeta à ses genoux. Il n’était pas sans
agréments, et aurait pu ne pas effaroucher un cœur moins prévenu ; mais
Saint-Yves adorait son amant, et croyait que c’était un crime horrible
de le trahir pour le servir. Saint-Pouange redoublait les prières et les
promesses : enfin la tête lui tourna au point qu’il lui déclara que
c’était le seul moyen de tirer de sa prison l’homme auquel elle prenait
un intérêt si violent et si tendre. Cet étrange entretien se
prolongeait. La dévote de l’antichambre, en lisant son Pédagogue
chrétien, disait : « Mon Dieu! que peuvent-ils faire là depuis deux
heures ? Jamais monseigneur de Saint-Pouange n’a donné une si longue
audience ; peut-être qu’il a tout refusé à cette pauvre fille,
puisqu’elle le prie encore. »
Enfin sa compagne sortit de
l’arrière-cabinet, tout éperdue, sans pouvoir parler, réfléchissant
profondément sur le caractère des grands et des demi-grands, qui
sacrifient si légèrement la liberté des hommes et l’honneur des femmes.
Elle
ne dit pas un mot pendant tout le chemin. Arrivée chez l’amie, elle
éclata, elle lui conta tout. La dévote fit de grands signes de croix. «
Ma chère amie, il faut consulter dès demain le P. Tout-à-tous, notre
directeur ; il a beaucoup de crédit auprès de M. de Saint-Pouange ; il
confesse plusieurs servantes de sa maison ; c’est un homme pieux et
accommodant, qui dirige aussi des femmes de qualité : abandonnez-vous à
lui, c’est ainsi que j’en use ; je m’en suis toujours bien trouvée. Nous
autres, pauvres femmes, nous avons besoin d’être conduites par un
homme. — Eh bien donc! ma chère amie, j’irai trouver demain le P.
Tout-à-tous. »
CHAPITRE XVI. ELLE CONSULTE UN JÉSUITE.
Dès
que la belle et désolée Saint-Yves fut avec son bon confesseur, elle
lui confia qu’un homme puissant et voluptueux lui proposait de faire
sortir de prison celui qu’elle devait épouser légitimement, et qu’il
demandait un grand prix de son service ; qu’elle avait une répugnance
horrible pour une telle infidélité, et que, s’il ne s’agissait que de sa
propre vie, elle la sacrifierait plutôt que de succomber.
« Voilà un
abominable pécheur! lui dit le P. Tout-à-tous. Vous devriez bien me
dire le nom de ce vilain homme : c’est à coup sûr quelque janséniste ;
je le dénoncerai à sa révérence le P. de La Chaise, qui le fera mettre
dans le gîte où est à présent la chère personne que vous devez épouser. »
La pauvre fille, après un long embarras et de grandes irrésolutions, lui nomma enfin Saint-Pouange.
«
Monseigneur de Saint-Pouange! s’écria le jésuite ; ah! ma fille, c’est
tout autre chose ; il est cousin du plus grand ministre que nous ayons
jamais eu, homme de bien, protecteur de la bonne cause, bon chrétien ;
il ne peut avoir eu une telle pensée ; il faut que vous ayez mal
entendu. — Ah! mon père, je n’ai entendu que trop bien ; je suis perdue,
quoi que je fasse ; je n’ai que le choix du malheur et de la honte : il
faut que mon amant reste enseveli tout vivant, ou que je me rende
indigne de vivre. Je ne puis le laisser périr, et je ne puis le sauver. »
Le P. Tout-à-tous tâcha de la calmer par ces douces paroles :
«
Premièrement, ma fille, ne dites jamais ce mot mon amant ; il y a
quelque chose de mondain qui pourrait offenser Dieu : dites mon mari ;
car, bien qu’il ne le soit pas encore, vous le regardez comme tel ; et
rien n’est plus honnête.
« Secondement, bien qu’il soit votre époux
en idée, en espérance, il ne l’est pas en effet : ainsi vous ne
commettriez pas un adultère, péché énorme qu’il faut toujours éviter
autant qu’il est possible.
« Troisièmement, les actions ne sont pas
d’une malice de coulpe quand l’intention est pure, et rien n’est plus
pur que de délivrer votre mari.
« Quatrièmement, vous avez des
exemples dans la sainte antiquité, qui peuvent merveilleusement servir à
votre conduite. Saint Augustin rapporte que sous le proconsulat de
Septimius Acyndinus, en l’an 340 de notre salut, un pauvre homme, ne
pouvant payer à César ce qui appartenait à César, fut condamné à la
mort, comme il est juste, malgré la maxime : Où il n’y a rien le roi
perd ses droits. Il s’agissait d’une livre d’or ; le condamné avait une
femme en qui Dieu avait mis la beauté et la prudence. Un vieux richard
promit de donner une livre d’or, et même plus, à la dame, à condition
qu’il commettrait avec elle le péché immonde. La dame ne crut point mal
faire en sauvant la vie à son mari. Saint Augustin approuve fort sa
généreuse résignation. Il est vrai que le vieux richard la trompa, et
peut-être même son mari n’en fut pas moins pendu ; mais elle avait fait
tout ce qui était en elle pour sauver sa vie.
« Soyez sûre, ma fille,
que quand un jésuite vous cite saint Augustin, il faut bien que ce
saint ait pleinement raison. Je ne vous conseille rien, vous êtes sage ;
il est à présumer que vous serez utile à votre mari. Monseigneur de
Saint-Pouange est un honnête homme, il ne vous trompera pas : c’est tout
ce que je puis vous dire ; je prierai Dieu pour vous, et j’espère que
tout se passera à sa plus grande gloire. »
La belle Saint-Yves, non
moins effrayée des discours du jésuite que des propositions du
sous-ministre, s’en retourna éperdue chez son amie. Elle était tentée de
se délivrer, par la mort, de l’horreur de laisser dans une captivité
affreuse l’amant qu’elle adorait, et de la honte de le délivrer au prix
de ce qu’elle avait de plus cher, et qui ne devait appartenir qu’à cet
amant infortuné.
CHAPITRE XVII. ELLE SUCCOMBE PAR VERTU.
Elle
priait son amie de la tuer ; mais cette femme, non moins indulgente que
le jésuite, lui parla plus clairement encore. « Hélas! dit-elle, les
affaires ne se font guère autrement dans cette cour si aimable, si
galante, si renommée. Les places les plus médiocres et les plus
considérables n’ont souvent été données qu’au prix qu’on exige de vous.
Écoutez, vous m’avez inspiré de l’amitié et de la confiance ; je vous
avouerai que si j’avais été aussi difficile que vous l’êtes, mon mari ne
jouirait pas du petit poste qui le fait vivre ; il le sait, et loin
d’en être fâché, il voit en moi sa bienfaitrice, et il se regarde comme
ma créature. Pensez-vous que tous ceux qui ont été à la tête des
provinces, ou même des armées, aient dû leurs honneurs et leur fortune à
leurs seuls services ? Il en est qui en sont redevables à mesdames
leurs femmes. Les dignités de la guerre ont été sollicitées par l’amour,
et la place a été donnée au mari de la plus belle.
« Vous êtes dans
une situation bien plus intéressante : il s’agit de rendre votre amant
au jour et de l’épouser ; c’est un devoir sacré qu’il vous faut remplir.
On n’a point blâmé les belles et grandes dames dont je vous parle ; on
vous applaudira, on dira que vous ne vous êtes permise une faiblesse que
par un excès de vertu.
— Ah! quelle vertu! s’écria la belle
Saint-Yves ; quel labyrinthe d’iniquités! quel pays! et que j’apprends à
connaître les hommes! Un P. de La Chaise et un bailli ridicule font
mettre mon amant en prison, ma famille me persécute, on ne me tend la
main dans mon désastre que pour me déshonorer. Un jésuite a perdu un
brave homme, un autre jésuite veut me perdre ; je ne suis entourée que
de pièges, et je touche au moment de tomber dans la misère. Il faut que
je me tue, ou que je parle au roi, je me jetterai à ses pieds sur son
passage, quand il ira à la messe ou à la comédie.
— On ne vous
laissera pas approcher, lui dit sa bonne amie ; et si vous aviez le
malheur de parler, mons de Louvois et le révérend P. de La Chaise
pourraient vous enterrer dans le fond d’un couvent pour le reste de vos
jours. »
Tandis que cette brave personne augmentait ainsi les
perplexités de cette âme désespérée, et enfonçait le poignard dans son
cœur, arrive un exprès de M. de Saint-Pouange avec une lettre et deux
beaux pendants d’oreilles. Saint-Yves rejeta le tout en pleurant ; mais
l’amie s’en chargea.
Dès que le messager fut parti, notre confidente
lit la lettre dans laquelle on propose un petit souper aux deux amies
pour le soir. Saint-Yves jure qu’elle n’ira point. La dévote veut lui
essayer les deux boucles de diamants. Saint-Yves ne le put souffrir.
Elle combattit la journée entière. Enfin, n’ayant en vue que son amant,
vaincue, entraînée, ne sachant où on la mène, elle se laisse conduire au
souper fatal. Rien n’avait pu la déterminer à se parer de ses pendants
d’oreilles ; la confidente les apporta, elle les lui ajusta malgré elle
avant qu’on se mît à table. Saint-Yves était si confuse, si troublée,
qu’elle se laissait tourmenter ; et le patron en tirait un augure très
favorable. Vers la fin du repas, la confidente se retira discrètement.
Le patron montra alors la révocation de la lettre de cachet, le brevet
d’une gratification considérable, celui d’une compagnie, et n’épargna
pas les promesses. « Ah! lui dit Saint-Yves, que je vous aimerais si
vous ne vouliez pas être tant aimé! »
Enfin, après une longue
résistance, après des sanglots, des cris, des larmes, affaiblie du
combat, éperdue, languissante, il fallut se rendre. Elle n’eut d’autre
ressource que de se promettre de ne penser qu’à l’Ingénu, tandis que le
cruel jouirait impitoyablement de la nécessité où elle était réduite.
CHAPITRE XVIII. ELLE DÉLIVRE SON AMANT ET UN JANSÉNISTE.
Au
point du jour elle vole à Paris, munie de l’ordre du ministre. Il est
difficile de peindre ce qui se passait dans son cœur pendant ce voyage.
Qu’on imagine une âme vertueuse et noble, humiliée de son opprobre,
enivrée de tendresse, déchirée des remords d’avoir trahi son amant,
pénétrée du plaisir de délivrer ce qu’elle adore! Ses amertumes, ses
combats, son succès, partageaient toutes ses réflexions. Ce n’était plus
cette fille simple dont une éducation provinciale avait rétréci les
idées. L’amour et le malheur l’avaient formée. Le sentiment avait fait
autant de progrès en elle que la raison en avait fait dans l’esprit de
son amant infortuné. Les filles apprennent à sentir plus aisément que
les hommes n’apprennent à penser. Son aventure était plus instructive
que quatre ans de couvent.
Son habit était d’une simplicité extrême.
Elle voyait avec horreur les ajustements sous lesquels elle avait paru
devant son funeste bienfaiteur ; elle avait laissé ses boucles de
diamants à sa compagne sans même les regarder. Confuse et charmée,
idolâtre de l’Ingénu, et se haïssant elle-même, elle arrive enfin à la
porte de
… cet affreux château, palais de la vengeance,
Qui renferme souvent le crime et l’innocence [47].
Quand
il fallut descendre du carrosse, les forces lui manquèrent ; on l’aida ;
elle entra, le cœur palpitant, les yeux humides, le front consterné. On
la présente au gouverneur ; elle veut lui parler, sa voix expire ; elle
montre son ordre en articulant à peine quelques paroles. Le gouverneur
aimait son prisonnier ; il fut très aise de sa délivrance. Son cœur
n’était pas endurci comme celui de quelques honorables geôliers ses
confrères, qui, ne pensant qu’à la rétribution attachée à la garde de
leurs captifs, fondant leurs revenus sur leurs victimes, et vivant du
malheur d’autrui, se faisaient en secret une joie affreuse des larmes
des infortunés.
Il fait venir le prisonnier dans son appartement. Les
deux amants se voient, et tous deux s’évanouissent. La belle Saint-Yves
resta longtemps sans mouvement et sans vie : l’autre rappela bientôt
son courage. « C’est apparemment là madame votre femme, lui dit le
gouverneur ; vous ne m’aviez point dit que vous fussiez marié. On me
mande que c’est à ses soins généreux que vous devez votre délivrance. —
Ah! je ne suis pas digne d’être sa femme, » dit la belle Saint-Yves
d’une voix tremblante ; et elle retomba encore en faiblesse.
Quand
elle eut repris ses sens, elle présenta, toujours tremblante, le brevet
de la gratification, et la promesse par écrit d’une compagnie. L’Ingénu,
aussi étonné qu’attendri, s’éveillait d’un songe pour retomber dans un
autre. « Pourquoi ai-je été renfermé ici ? comment avez-vous pu m’en
tirer ? où sont les monstres qui m’y ont plongé ? Vous êtes une divinité
qui descendez du ciel à mon secours. »
La belle Saint-Yves baissait
la vue, regardait son amant, rougissait, et détournait, le moment
d’après, ses yeux mouillés de pleurs. Elle lui apprit enfin tout ce
qu’elle savait, et tout ce qu’elle avait éprouvé, excepté ce qu’elle
aurait voulu se cacher pour jamais, et ce qu’un autre que l’Ingénu, plus
accoutumé au monde et plus instruit des usages de la cour, aurait
deviné facilement.
« Est-il possible qu’un misérable comme ce bailli
ait eu le pouvoir de me ravir ma liberté ? Ah! je vois bien qu’il en est
des hommes comme des plus vils animaux ; tous peuvent nuire. Mais
est-il possible qu’un moine, un jésuite confesseur du roi, ait contribué
à mon infortune autant que ce bailli, sans que je puisse imaginer sous
quel prétexte ce détestable fripon m’a persécuté ? M’a-t-il fait passer
pour un janséniste ? Enfin, comment vous êtes-vous souvenue de moi ? je
ne le méritais pas, je n’étais alors qu’un sauvage. Quoi! vous avez pu,
sans conseil, sans secours, entreprendre le voyage de Versailles! Vous y
avez paru, et on a brisé mes fers! Il est donc dans la beauté et dans
la vertu un charme invincible qui fait tomber les portes de fer, et qui
amollit les cœurs de bronze! »
À ce mot de vertu, des sanglots
échappèrent à la belle Saint-Yves. Elle ne savait pas combien elle était
vertueuse dans le crime qu’elle se reprochait.
Son amant continua
ainsi : « Ange, qui avez rompu mes liens, si vous avez eu (ce que je ne
comprends pas encore) assez de crédit pour me faire rendre justice,
faites-la donc rendre aussi à un vieillard qui m’a le premier appris à
penser, comme vous m’avez appris à aimer. La calamité nous a unis ; je
l’aime comme un père, je ne peux vivre ni sans vous ni sans lui.
— Moi! que je sollicite le même homme qui…
—
Oui, je veux tout vous devoir, et je ne veux devoir jamais rien qu’à
vous : écrivez à cet homme puissant, comblez-moi de vos bienfaits,
achevez ce que vous avez commencé, achevez vos prodiges. » Elle sentait
qu’elle devait faire tout ce que son amant exigeait : elle voulut
écrire, sa main ne pouvait obéir. Elle recommença trois fois sa lettre,
la déchira trois fois ; elle écrivit enfin, et les deux amants sortirent
après avoir embrassé le vieux martyr de la grâce efficace.
L’heureuse
et désolée Saint-Yves savait dans quelle maison logeait son frère ;
elle y alla ; son amant prit un appartement dans la même maison.
À
peine y furent-ils arrivés que son protecteur lui envoya l’ordre de
l’élargissement du bonhomme Gordon, et lui demanda un rendez-vous pour
le lendemain. Ainsi, à chaque action honnête et généreuse qu’elle
faisait, son déshonneur en était le prix. Elle regardait avec exécration
cet usage de vendre le malheur et le bonheur des hommes. Elle donna
l’ordre de l’élargissement à son amant, et refusa le rendez-vous d’un
bienfaiteur qu’elle ne pouvait plus voir sans expirer de douleur et de
honte. L’Ingénu ne pouvait se séparer d’elle que pour aller délivrer un
ami : il y vola. Il remplit ce devoir en réfléchissant sur les étranges
événements de ce monde, et en admirant la vertu courageuse d’une jeune
fille à qui deux infortunés devaient plus que la vie.
CHAPITRE XIX. L’INGÉNU, LA BELLE SAINT-YVES, ET LEURS PARENTS, SONT RASSEMBLÉS.
La
généreuse et respectable infidèle était avec son frère abbé de
Saint-Yves, le bon prieur de la Montagne, et la dame de Kerkabon. Tous
étaient également étonnés ; mais leur situation et leurs sentiments
étaient bien différents. L’abbé de Saint-Yves pleurait ses torts aux
pieds de sa sœur, qui lui pardonnait. Le prieur et sa tendre sœur
pleuraient aussi, mais de joie ; le vilain bailli et son insupportable
fils ne troublaient point cette scène touchante. Ils étaient partis au
premier bruit de l’élargissement de leur ennemi ; ils couraient
ensevelir dans leur province leur sottise et leur crainte.
Les quatre
personnages, agités de cent mouvements divers, attendaient que le jeune
homme revînt avec l’ami qu’il devait délivrer. L’abbé de Saint-Yves
n’osait lever les yeux devant sa sœur ; la bonne Kerkabon disait : « Je
reverrai donc mon cher neveu! — Vous le reverrez, dit la charmante
Saint-Yves, mais ce n’est plus le même homme ; son maintien, son ton,
ses idées, son esprit, tout est changé. Il est devenu aussi respectable
qu’il était naïf et étranger à tout. Il sera l’honneur et la consolation
de votre famille ; que ne puis-je être aussi le bonheur de la mienne! —
Vous n’êtes point non plus la même, dit le prieur ; que vous est-il
donc arrivé qui ait fait en vous un si grand changement ? »
Au milieu
de cette conversation l’Ingénu arrive, tenant par la main son
janséniste. La scène alors devint plus neuve et plus intéressante. Elle
commença par les tendres embrassements de l’oncle et de la tante. L’abbé
de Saint-Yves se mettait presque aux genoux de l’Ingénu, qui n’était
plus l’ingénu. Les deux amants se parlaient par des regards qui
exprimaient tous les sentiments dont ils étaient pénétrés. On voyait
éclater la satisfaction, la reconnaissance, sur le front de l’un ;
l’embarras était peint dans les yeux tendres et un peu égarés de
l’autre. On était étonné qu’elle mêlât de la douleur à tant de joie.
Le
vieux Gordon devint en peu de moments cher à toute la famille. Il avait
été malheureux avec le jeune prisonnier, et c’était un grand titre. Il
devait sa délivrance aux deux amants, cela seul le réconciliait avec
l’amour ; l’âpreté de ses anciennes opinions sortait de son cœur : il
était changé en homme, ainsi que le Huron. Chacun raconta ses aventures
avant le souper. Les deux abbés, la tante, écoutaient comme des enfants
qui entendent des histoires de revenants, et comme des hommes qui
s’intéressaient tous à tant de désastres. « Hélas! dit Gordon, il y a
peut-être plus de cinq cents personnes vertueuses qui sont à présent
dans les mêmes fers que Mlle de Saint-Yves a brisés : leurs malheurs
sont inconnus. On trouve assez de mains qui frappent sur la foule des
malheureux, et rarement une secourable. » Cette réflexion si vraie
augmentait sa sensibilité et sa reconnaissance : tout redoublait le
triomphe de la belle Saint-Yves : on admirait la grandeur et la fermeté
de son âme. L’admiration était mêlée de ce respect qu’on sent malgré soi
pour une personne qu’on croit avoir du crédit à la cour. Mais l’abbé de
Saint-Yves disait quelquefois : « Comment ma sœur a-t-elle pu faire
pour obtenir si tôt ce crédit ? »
On allait se mettre à table de très
bonne heure : voilà que la bonne amie de Versailles arrive, sans rien
savoir de tout ce qui s’était passé ; elle était en carrosse à six
chevaux, et on voit bien à qui appartenait l’équipage. Elle entre avec
l’air imposant d’une personne de cour qui a de grandes affaires, salue
très légèrement la compagnie, et tirant la belle Saint-Yves à l’écart : «
Pourquoi vous faire tant attendre ? Suivez-moi ; voilà vos diamants que
vous aviez oubliés. » Elle ne put dire ces paroles si bas que l’Ingénu
ne les entendît : il vit les diamants ; le frère fut interdit ; l’oncle
et la tante n’éprouvèrent qu’une surprise de bonnes gens qui n’avaient
jamais vu une telle magnificence. Le jeune homme, qui s’était formé par
un an de réflexions, en fit malgré lui, et parut troublé un moment. Son
amante s’en aperçut ; une pâleur mortelle se répandit sur son beau
visage, un frisson la saisit, elle se soutenait à peine. « Ah! madame,
dit-elle à la fatale amie, vous m’avez perdue! vous me donnez la mort! »
Ces paroles percèrent le cœur de l’Ingénu ; mais il avait déjà appris à
se posséder ; il ne les releva point, de peur d’inquiéter sa maîtresse
devant son frère ; mais il pâlit comme elle.
Saint-Yves, éperdue de
l’altération qu’elle apercevait sur le visage de son amant, entraîne
cette femme hors de la chambre dans un petit passage, jette les diamants
à terre devant elle. « Ah! ce ne sont pas eux qui m’ont séduite, vous
le savez ; mais celui qui les a donnés ne me reverra jamais. » L’amie
les ramassait, et Saint-Yves ajoutait : « Qu’il les reprenne ou qu’il
vous les donne ; allez, ne me rendez plus honteuse de moi-même. »
L’ambassadrice enfin s’en retourna, ne pouvant comprendre les remords
dont elle était témoin.
La belle Saint-Yves, oppressée, éprouvant
dans son corps une révolution qui la suffoquait, fut obligée de se
mettre au lit ; mais pour n’alarmer personne elle ne parla point de ce
qu’elle souffrait, et, ne prétextant que sa lassitude, elle demanda la
permission de prendre du repos ; mais ce fut après avoir rassuré la
compagnie par des paroles consolantes et flatteuses, et jeté sur son
amant des regards qui portaient le feu dans son âme.
Le souper,
qu’elle n’animait pas, fut triste dans le commencement, mais de cette
tristesse intéressante qui fournit des conversations attachantes et
utiles, si supérieures à la frivole joie qu’on recherche, et qui n’est
d’ordinaire qu’un bruit importun.
Gordon fit en peu de mots
l’histoire et du jansénisme et du molinisme, et des persécutions dont un
parti accablait l’autre, et de l’opiniâtreté de tous les deux. L’Ingénu
en fit la critique, et plaignit les hommes qui, non contents de tant de
discordes que leurs intérêts allument, se font de nouveaux maux pour
des intérêts chimériques, et pour des absurdités inintelligibles. Gordon
racontait, l’autre jugeait ; les convives écoutaient avec émotion, et
s’éclairaient d’une lumière nouvelle. On parla de la longueur de nos
infortunes et de la brièveté de la vie. On remarqua que chaque
profession a un vice et un danger qui lui sont attachés, et que, depuis
le Prince jusqu’au dernier des mendiants, tout semble accuser la nature.
Comment se trouve-t-il tant d’hommes qui, pour si peu d’argent, se font
les persécuteurs, les satellites, les bourreaux des autres hommes ?
Avec quelle indifférence inhumaine un homme en place signe la
destruction d’une famille, et avec quelle joie plus barbare des
mercenaires l’exécutent!
« J’ai vu dans ma jeunesse, dit le bonhomme
Gordon, un parent du maréchal du Marillac, qui, étant poursuivi dans sa
province pour la cause de cet illustre malheureux, se cachait dans Paris
sous un nom supposé. C’était un vieillard de soixante et douze ans. Sa
femme, qui l’accompagnait, était à peu près de son âge. Ils avaient eu
un fils libertin qui, à l’âge de quatorze ans, s’était enfui de la
maison paternelle : devenu soldat, puis déserteur, il avait passé par
tous les degrés de la débauche et de la misère ; enfin, ayant pris un
nom de terre, il était dans les gardes du cardinal de Richelieu (car ce
prêtre, ainsi que le Mazarin, avait des gardes) ; il avait obtenu un
bâton d’exempt dans cette compagnie de satellites. Cet aventurier fut
chargé d’arrêter le vieillard et son épouse, et s’en acquitta avec toute
la dureté d’un homme qui voulait plaire à son maître. Comme il les
conduisait, il entendit ces deux victimes déplorer la longue suite des
malheurs qu’elles avaient éprouvés depuis leur berceau. Le père et la
mère comptaient parmi leurs plus grandes infortunes les égarements et la
perte de leur fils. Il les reconnut ; il ne les conduisit pas moins en
prison, en les assurant que Son Éminence devait être servie de
préférence à tout. Son Éminence récompensa son zèle.
« J’ai vu un
espion du P. de La Chaise trahir son propre frère, dans l’espérance d’un
petit bénéfice qu’il n’eut point ; et je l’ai vu mourir, non de
remords, mais de douleur d’avoir été trompé par le jésuite.
«
L’emploi de confesseur, que j’ai longtemps exercé, m’a fait connaître
l’intérieur des familles ; je n’en ai guère vu qui ne fussent plongées
dans l’amertume, tandis qu’au dehors, couvertes du masque du bonheur,
elles paraissaient nager dans la joie ; et j’ai toujours remarqué que
les grands chagrins étaient le fruit de notre cupidité effrénée.
—
Pour moi, dit l’Ingénu, je pense qu’une âme noble, reconnaissante et
sensible, peut vivre heureuse ; et je compte bien jouir d’une félicité
sans mélange avec la belle et généreuse Saint-Yves : car je me flatte,
ajouta-t-il, en s’adressant à son frère avec le sourire de l’amitié, que
vous ne me refuserez pas, comme l’année passée, et que je m’y prendrai
d’une manière plus décente. »
L’abbé se confondit en excuses du passé et en protestations d’un attachement éternel.
L’oncle
Kerkabon dit que ce serait le plus beau jour de sa vie. La bonne tante,
en s’extasiant et en pleurant de joie, s’écriait : « Je vous l’avais
bien dit que vous ne seriez jamais sous-diacre! ce sacrement-ci vaut
mieux que l’autre ; plût à Dieu que j’en eusse été honorée! mais je vous
servirai de mère. » Alors ce fut à qui renchérirait sur les louanges de
la tendre Saint-Yves.
Son amant avait le cœur trop plein de ce
qu’elle avait fait pour lui, il l’aimait trop pour que l’aventure des
diamants eût fait sur son cœur une impression dominante. Mais ces mots
qu’il avait trop entendus, vous me donnez la mort, l’effrayaient encore
en secret, et corrompaient toute sa joie, tandis que les éloges de sa
belle maîtresse augmentaient encore son amour. Enfin on n’était plus
occupé que d’elle ; on ne parlait que du bonheur que ces deux amants
méritaient ; on s’arrangeait pour vivre tous ensemble dans Paris ; on
faisait des projets de fortune et d’agrandissement ; on se livrait à
toutes ces espérances que la moindre lueur de félicité fait naître si
aisément. Mais l’Ingénu, dans le fond de son cœur, éprouvait un
sentiment secret qui repoussait cette illusion. Il relisait ces
promesses signées Saint-Pouange, et les brevets signés Louvois ; on lu
dépeignit ces deux hommes tels qu’ils étaient, ou qu’on les croyait
être. Chacun parla des ministres et du ministère avec cette liberté de
table, regardée en France comme la plus précieuse liberté qu’on puisse
goûter sur la terre.
« Si j’étais roi de France, dit l’Ingénu, voici
le ministre de la guerre que je choisirais : je voudrais un homme de la
plus haute naissance, par la raison qu’il donne des ordres à la
noblesse. J’exigerais qu’il eût été lui-même officier, qu’il eût passé
par tous les grades, qu’il fût au moins lieutenant-général des armées,
et digne d’être maréchal de France : car n’est-il pas nécessaire qu’il
ait servi lui-même pour mieux connaître les détails du service ? et les
officiers n’obéiront-ils pas avec cent fois plus d’allégresse à un homme
de guerre, qui aura comme eux signalé son courage, qu’à un homme de
cabinet qui ne peut que deviner tout au plus les opérations d’une
campagne, quelque esprit qu’il puisse avoir ? Je ne serais pas fâché que
mon ministre fût généreux, quoique mon garde du trésor royal en fût
quelquefois un peu embarrassé. J’aimerais qu’il eût un travail facile,
et que même il se distinguât par cette gaieté d’esprit, partage d’un
homme supérieur aux affaires qui plaît tant à la nation, et qui rend
tous les devoirs moins pénibles. » Il désirait qu’un ministre eût ce
caractère ; parce qu’il avait toujours remarqué que cette belle humeur
est incompatible avec la cruauté.
Mons de Louvois n’aurait peut-être pas été satisfait des souhaits de l’Ingénu ; il avait une autre sorte de mérite.
Mais
pendant qu’on était à table, la maladie de cette fille malheureuse
prenait un caractère funeste ; son sang s’était allumé, une fièvre
dévorante s’était déclarée, elle souffrait, et ne se plaignait point,
attentive à ne pas troubler la joie des convives.
Son frère, sachant
qu’elle ne dormait pas, alla au chevet de son lit ; il fut surpris de
l’état où elle était. Tout le monde accourut ; l’amant se présentait à
la suite du frère. Il était, sans doute, le plus alarmé et le plus
attendri de tous ; mais il avait appris à joindre la discrétion à tous
les dons heureux que la nature lui avait prodigués, et le sentiment
prompt des bienséances commençait à dominer dans lui.
On fit venir
aussitôt un médecin du voisinage. C’était un de ceux qui visitent leurs
malades en courant, qui confondent la maladie qu’ils viennent de voir
avec celles qu’ils voient, qui mettent une pratique aveugle dans une
science à laquelle toute la maturité d’un discernement sain et réfléchi
ne peut ôter son incertitude et ses dangers. Il redoubla le mal par sa
précipitation à prescrire un remède alors à la mode. De la mode jusque
dans la médecine! Cette manie était trop commune dans Paris.
La
triste Saint-Yves contribuait encore plus que son médecin à rendre sa
maladie dangereuse. Son âme tuait son corps. La foule des pensées qui
l’agitaient portait dans ses veines un poison plus dangereux que celui
de la fièvre la plus brûlante.
CHAPITRE XX. LA BELLE SAINT-YVES MEURT, ET CE QUI EN ARRIVE.
On
appela un autre médecin : celui-ci, au lieu d’aider la nature et de la
laisser agir dans une jeune personne dans qui tous les organes
rappelaient la vie, ne fut occupé que de contrecarrer son confrère. La
maladie devint mortelle en deux jours. Le cerveau, qu’on croit le siège
de l’entendement, fut attaqué aussi violemment que le cœur, qui est,
dit-on, le siège des passions.
Quelle mécanique incompréhensible a
soumis les organes au sentiment et à la pensée ? Comment une seule idée
douloureuse dérange-t-elle le cours du sang ? Et comment le sang à son
tour porte-t-il ses irrégularités dans l’entendement humain ? Quel est
ce fluide inconnu et dont l’existence est certaine, qui, plus prompt,
plus actif que la lumière, vole, en moins d’un clin d’œil, dans tous les
canaux de la vie, produit les sensations, la mémoire, la tristesse ou
la joie, la raison ou le vertige, rappelle avec horreur ce qu’on
voudrait oublier, et fait d’un animal pensant ou un objet d’admiration,
ou un sujet de pitié et de larmes ?
C’était là ce que disait le bon
Gordon ; et cette réflexion si naturelle, que rarement font les hommes,
ne dérobait rien à son attendrissement ; car il n’était pas de ces
malheureux philosophes qui s’efforcent d’être insensibles. Il était
touché du sort de cette jeune fille, comme un père qui voit mourir
lentement son enfant chéri. L’abbé de Saint-Yves était désespéré, le
prieur et sa sœur répandaient des ruisseaux de larmes. Mais qui pourrait
peindre l’état de son amant ? Nulle langue n’a des expressions qui
répondent à ce comble de douleurs ; les langues sont trop imparfaites.
La
tante, presque sans vie, tenait la tête de la mourante dans ses faibles
bras ; son frère était à genoux au pied du lit ; son amant pressait sa
main, qu’il baignait de pleurs, et éclatait en sanglots : il la nommait
sa bienfaitrice, son espérance, sa vie, la moitié de lui-même, sa
maîtresse, son épouse. À ce mot d’épouse elle soupira, le regarda avec
une tendresse inexprimable, et soudain jeta un cri d’horreur ; puis,
dans un de ces intervalles où l’accablement, et l’oppression des sens,
et les souffrances suspendues, laissent à l’âme sa liberté et sa force,
elle s’écria : « Moi, votre épouse! Ah! cher amant, ce nom, ce bonheur,
ce prix, n’étaient plus faits pour moi ; je meurs, et je le mérite. Ô
dieu de mon cœur! ô vous que j’ai sacrifié à des démons infernaux, c’en
est fait, je suis punie, vivez heureux. » Ces paroles tendres et
terribles ne pouvaient être comprises ; mais elles portaient dans tous
les cœurs l’effroi et l’attendrissement ; elle eut le courage de
s’expliquer. Chaque mot fit frémir d’étonnement, de douleur et de pitié
tous les assistants. Tous se réunissaient à détester l’homme puissant
qui n’avait réparé une horrible injustice que par un crime, et qui avait
forcé la plus respectable innocence à être sa complice.
« Qui ? vous
coupable! lui dit son amant ; non, vous ne l’êtes pas ; le crime ne
peut être que dans le cœur, le vôtre est à la vertu et à moi. »
Il
confirmait ce sentiment par des paroles qui semblaient ramener à la vie
la belle Saint-Yves. Elle se sentit consolée, et s’étonnait d’être aimée
encore. Le vieux Gordon l’aurait condamnée dans le temps qu’il n’était
que janséniste ; mais, étant devenu sage, il l’estimait, et il pleurait.
Au
milieu de tant de larmes et de craintes, pendant que le danger de cette
fille si chère remplissait tous les cœurs, que tout était consterné, on
annonce un courrier de la cour. Un courrier! et de qui ? et pourquoi ?
C’était de la part du confesseur du roi pour le prieur de la Montagne ;
ce n’était pas le P. de La Chaise qui écrivait, c’était le frère
Vadbled, son valet de chambre, homme très important dans ce temps-là,
lui qui mandait aux archevêques les volontés du révérend père, lui qui
donnait audience, lui qui promettait des bénéfices, lui qui faisait
quelquefois expédier des lettres de cachet. Il écrivait à l’abbé de la
Montagne que « Sa Révérence était informée des aventures de son neveu,
que sa prison n’était qu’une méprise, que ces petites disgrâces
arrivaient fréquemment, qu’il ne fallait pas y faire attention, qu’enfin
il convenait que le prieur vînt lui présenter son neveu le lendemain,
qu’il devait amener avec lui le bonhomme Gordon, que lui frère Vadbled
les introduirait chez Sa Révérence et chez mons de Louvois, lequel leur
dirait un mot dans son antichambre. »
Il ajoutait que l’histoire de
l’Ingénu et son combat contre les Anglais avaient été contés au roi, que
sûrement le roi daignerait le remarquer quand il passerait dans la
galerie, et peut-être même lui ferait un signe de tête. La lettre
finissait par l’espérance dont on le flattait que toutes les dames de la
cour s’empresseraient de faire venir son neveu à leurs toilettes, que
plusieurs d’entre elles lui diraient : « Bonjour, monsieur l’Ingénu » ;
et qu’assurément il serait question de lui au souper du roi. La lettre
était signée : « Votre affectionné Vadbled, frère jésuite. »
Le
prieur ayant lu la lettre tout haut, son neveu furieux, et commandant un
moment à sa colère, ne dit rien au porteur ; mais se tournant vers le
compagnon de ses infortunes, il lui demanda ce qu’il pensait de ce
style. Gordon lui répondit : « C’est donc ainsi qu’on traite les hommes
comme des singes! On les bat et on les fait danser. » L’Ingénu,
reprenant son caractère, qui revient toujours dans les grands mouvements
de l’âme, déchira la lettre par morceaux, et les jeta au nez du
courrier : « Voilà ma réponse. » Son oncle, épouvanté, crut voir le
tonnerre et vingt lettres de cachet tomber sur lui. Il alla vite écrire
et excuser, comme il put, ce qu’il prenait pour l’emportement d’un jeune
homme, et qui était la saillie d’une grande âme.
Mais des soins plus
douloureux s’emparaient de tous les cœurs. La belle et infortunée
Saint-Yves sentait déjà sa fin approcher ; elle était dans le calme,
mais dans ce calme affreux de la nature affaissée qui n’a plus la force
de combattre. « Ô mon cher amant! dit-elle d’une voix tombante, la mort
me punit de ma faiblesse ; mais j’expire avec la consolation de vous
savoir libre. Je vous ai adoré en vous trahissant, et je vous adore en
vous disant un éternel adieu. »
Elle ne se parait pas d’une vaine
fermeté ; elle ne concevait pas cette misérable gloire de faire dire à
quelques voisins : Elle est morte avec courage. Qui peut perdre à vingt
ans son amant, sa vie, et ce qu’on appelle l’honneur, sans regrets et
sans déchirements ? Elle sentait toute l’horreur de son état, et le
faisait sentir par ces mots et par ces regards mourants qui parlent avec
tant d’empire. Enfin elle pleurait comme les autres dans les moments où
elle eut la force de pleurer.
Que d’autres cherchent à louer les
morts fastueuses de ceux qui entrent dans la destruction avec
insensibilité : c’est le sort de tous les animaux. Nous ne mourons comme
eux que quand l’âge ou la maladie nous rend semblables à eux par la
stupidité de nos organes. Quiconque fait une grande perte a de grands
regrets ; s’il les étouffe, c’est qu’il porte la vanité jusque dans les
bras de la mort.
Lorsque le moment fatal fut arrivé, tous les
assistants jetèrent des larmes et des cris. L’Ingénu perdit l’usage de
ses sens. Les âmes fortes ont des sentiments bien plus violents que les
autres quand elles sont tendres. Le bon Gordon le connaissait assez pour
craindre qu’étant revenu à lui il ne se donnât la mort. On écarta
toutes les armes ; le malheureux jeune homme s’en aperçut ; il dit à ses
parents et à Gordon, sans pleurer, sans gémir, sans s’émouvoir : «
Pensez-vous donc qu’il y ait quelqu’un sur la terre qui ait le droit et
le pouvoir de m’empêcher de finir ma vie ? » Gordon se garda bien de lui
étaler ces lieux communs fastidieux par lesquels on essaye de prouver
qu’il n’est pas permis d’user de sa liberté pour cesser d’être quand on
est horriblement mal, qu’il ne faut pas sortir de sa maison quand on ne
peut plus y demeurer, que l’homme est sur la terre comme un soldat à son
poste : comme s’il importait à l’Être des êtres que l’assemblage de
quelques parties de matière fût dans un lieu ou dans un autre ; raisons
impuissantes qu’un désespoir ferme et réfléchi dédaigne d’écouter, et
auxquelles Caton ne répondit que par un coup de poignard.
Le morne et
terrible silence de l’Ingénu, ses yeux sombres, ses lèvres tremblantes,
les frémissements de son corps, portaient dans l’âme de tous ceux qui
le regardaient ce mélange de compassion et d’effroi qui enchaîne toutes
les puissances de l’âme, qui exclut tout discours, et qui ne se
manifeste que par des mots entrecoupés. L’hôtesse et sa famille étaient
accourues ; on tremblait de son désespoir, on le gardait à vue, on
observait tous ses mouvements. Déjà le corps glacé de la belle
Saint-Yves avait été porté dans une salle basse, loin des yeux de son
amant, qui semblait la chercher encore, quoiqu’il ne fût plus en état de
rien voir.
Au milieu de ce spectacle de la mort, tandis que le corps
est exposé à la porte de la maison, que deux prêtres à côté d’un
bénitier récitent des prières d’un air distrait, que des passants
jettent quelques gouttes d’eau bénite sur la bière par oisiveté, que
d’autres poursuivent leur chemin avec indifférence, que les parents
pleurent, et qu’un amant est prêt de s’arracher la vie, le Saint-Pouange
arrive avec l’amie de Versailles.
Son goût passager, n’ayant été
satisfait qu’une fois, était devenu de l’amour. Le refus de ses
bienfaits l’avait piqué. Le P. de La Chaise n’aurait jamais pensé à
venir dans cette maison ; mais Saint-Pouange ayant tous les jours devant
les yeux l’image de la belle Saint-Yves, brûlant d’assouvir une passion
qui par une seule jouissance avait enfoncé dans son cœur l’aiguillon
des désirs, ne balança pas à venir lui-même chercher celle qu’il
n’aurait pas peut-être voulu revoir trois fois si elle était venue
d’elle-même.
Il descend de carrosse : le premier objet qui se
présente à lui est une bière : il détourne les yeux avec ce simple
dégoût d’un homme nourri dans les plaisirs, qui pense qu’on doit lui
épargner tout spectacle qui pourrait le ramener à la contemplation de la
misère humaine. Il veut monter. La femme de Versailles demande par
curiosité qui on va enterrer ; on prononce le nom de Mlle de Saint-Yves.
À ce nom, elle pâlit et pousse [48] un cri affreux : Saint-Pouange se
retourne ; la surprise et la douleur remplissent son âme. Le bon Gordon
était là, les yeux remplis de larmes. Il interrompt ses tristes prières
pour apprendre à l’homme de cour toute cette horrible catastrophe. Il
lui parle avec cet empire que donnent la douleur et la vertu.
Saint-Pouange n’était point né méchant ; le torrent des affaires et des
amusements avait emporté son âme qui ne se connaissait pas encore. Il ne
touchait point à la vieillesse, qui endurcit d’ordinaire le cœur des
ministres ; il écoutait Gordon, les yeux baissés, et il en essuyait
quelques pleurs qu’il était étonné de répandre : il connut le repentir.
«
Je veux voir absolument, dit-il, cet homme extraordinaire dont vous
m’avez parlé ; il m’attendrit presque autant que cette innocente victime
dont j’ai causé la mort. » Gordon le suit jusqu’à la chambre où le
prieur, la Kerkabon, l’abbé de Saint-Yves et quelques voisins,
rappelaient à la vie le jeune homme retombé en défaillance.
« J’ai
fait votre malheur, lui dit le sous-ministre ; j’emploierai ma vie à le
réparer. » La première idée qui vint à l’Ingénu fut de le tuer, et de se
tuer lui-même après. Rien n’était plus à sa place ; mais il était sans
armes et veillé de près. Saint-Pouange ne se rebuta point des refus
accompagnés du reproche, du mépris, et de l’horreur qu’il avait mérités,
et qu’on lui prodigua. Le temps adoucit tout. Mons de Louvois vint
enfin à bout de faire un excellent officier de l’Ingénu, qui a paru sous
un autre nom à Paris et dans les armées, avec l’approbation de tous les
honnêtes gens, et qui a été à la fois un guerrier et un philosophe
intrépide.
Il ne parlait jamais de cette aventure sans gémir ; et
cependant sa consolation était d’en parler. Il chérit la mémoire de la
tendre Saint-Yves jusqu’au dernier moment de sa vie. L’abbé de
Saint-Yves et le prieur eurent chacun un bon bénéfice ; la bonne
Kerkabon aima mieux voir son neveu dans les honneurs militaires que dans
le sous-diaconat. La dévote de Versailles garda les boucles de
diamants, et reçut encore un beau présent. Le P. Tout-à-tous eut des
boîtes de chocolat, de café, de sucre candi, de citrons confits, avec
les Méditations du révérend P. Croiset, et la Fleur des saints [49],
reliées en maroquin. Le bon Gordon vécut avec l’Ingénu jusqu’à sa mort
dans la plus intime amitié ; il eut un bénéfice aussi, et oublia pour
jamais la grâce efficace et le concours concomitant. Il prit pour sa
devise : Malheur est bon à quelque chose. Combien d’honnêtes gens dans
le monde ont pu dire : Malheur n’est bon à rien!
------------------
NOTES
(1)
Il est à croire que pour toutes les répliques du Huron sur la religion,
Voltaire s’est inspiré de la relation du baron de La Hontan sur les
sauvages du Canada. Ce baron, qui avait vécu longtemps parmi eux,
rapporte quelques entretiens qu’il eut sur la religion avec un de ces
sauvages, et il paraît que le baron n’avait pas toujours l’avantage dans
la dispute.
(2) Les Anglais furent en effet maintes fois repoussés
de nos côtes pendant cette guerre de 1689, et sous Louis XV, en 1759,
même aventure leur arriva aux mêmes lieux. C’est pourquoi Voltaire
esquisse cette scène.
(3) Amadis de Gaule (Amadís de Gaula) est un
roman de chevalerie espagnol écrit et publié en 1508 par Garci Rodríguez
de Montalvo. Il fut traduit en français par Nicolas Herberay des
Essarts, traduction publiée pour la première fois par Denis Janot,
Vincent Sertenas et Jehan Longis en 1540 à Paris. Le héros en est
Amadis, dit le Chevalier du Lion ou le Beau Brun, le Beau ténébreux
(espagnol : Beltenebros). Ce héros de chevalerie était fils de Périon,
roi fabuleux de France. C’est le type des amants constants et
respectueux aussi bien que du chevalier errant. Amadis joue en Espagne
un rôle analogue à celui du roi Arthur en Angleterre et de Charlemagne
en France. Les aventures de ce prince n’ont rien d’historique,
d’ailleurs on ne sait même pas précisément à quelle époque les
rapporter. Selon Cervantes, Amadis « a servi de modèle à tous les autres
». C’est en réaction à ce phénomène qu’il écrit Don Quichotte, qui a
principalement pour objet de ridiculiser les chimères issues de cet
engouement. En effet, le héros de Cervantes, étourdi par la perfection
d’Amadis qu’il prend pour modèle, ne peut se rendre compte de ses
affabulations dans le monde réel et contemporain.
21. C’est une voiture de Paris à Versailles, laquelle ressemble à un petit tombereau ouvert. (Note de Voltaire.)
22. La Bastille.
23.
Remède chimique qui était en vigueur à la fin du xviie siècle. Son
inventeur, Goddard, exerçait la médecine à Londres sous Charles II ;
c’est pourquoi ce remède s’appela en France gouttes d’Angleterre.
24. Doctrine janséniste des élus.
25. Voyez le chapitre xxxvii du Siècle de Louis XIV.
26. Le Traité de Physique de Rohault est de 1671.
27.
Le premier volume de l’ouvrage de Malebranche est de 1674. Dans cette
partie, Malebranche se montre disciple de Descartes, et rejette en
philosophie l’autorité.
28. Système soutenu par les thomistes. C’est le concours immédiat de Dieu avec la créature.
30. Voyez le chapitre xxxvii du Siècle de Louis XIV.
31.
Le comté de Fezensac, ayant sept lieues de longueur sur cinq de largeur
; il avait été, en 1140, réuni au comté d’Armagnac. Le vicomté de
Fesansaguet, ou petit Fezensac, fut aussi, en 1404, réuni au comté
d’Armagnac. Le comté d’Astarac avait environ treize lieues de longueur
et onze de largeur.
32. Ignorants, gens sans éducation.
33. La faculté de théologie de Paris avait donné, en mauvais latin, une censure du Bélisaire de Marmontel.
34. Phrase textuelle du Bélisaire.
35.
Couverts de longs habits de lin (tels que des surplis). L’auteur fait
ici allusion à la censure du Bélisaire de Marmontel par la Sorbonne.
36.
L’édition encadrée de 1775 porte : contr’édits : on lit de même dans
les éditions de Kehl. Toutes les éditions antérieures à 1775 portent :
contredits. Mais on ne doit pas oublier que beaucoup d’ouvrages de
Voltaire ont été imprimés en pays étrangers, et quelquefois loin des
yeux de l’auteur.
37. Vêtus de longues robes ou manteaux.
38. Visé, fondateur du Mercure galant en 1762.
39. Auteur de Télémachomanie.
40. De La Fontaine.
41.
François de Harlay de Chanvalon, archevêque de Paris de 1670 à 1695,
refusa la sépulture à Molière, fit enfermer Mme Guyon, donna la
bénédiction nuptiale à Louis XIV et à Mme de Maintenon. Il était connu
par ses aventures galantes.
42. Dans les éditions antérieures aux éditions de Kehl, on lit : « Madame du Belloy. »
43.
Le Saint-Pouange est historiquement ressemblant ; mais sous ses traits,
il faut voir le fameux Saint-Florentin, qui avait alors la police dans
son ministère. On connaît les mœurs et les abus de pouvoir de ce favori
de Louis XV. En même temps que Voltaire publiait l’Ingénu, on lançait
contre le même homme un vigoureux pamphlet intitulé les Sabbatines et
les Florentines. Le premier nom faisait allusion à sa maîtresse, la
comtesse de Langeac, ci-devant Mme Sabbatin.
44. Ouvrage que Voltaire appelle excellent livre pour les sots. L’auteur est le P. Outreman.
47. Henriade, chant IV.
48.
Toutes les éditions, depuis 1767 jusques et compris les éditions de
Kehl, et quelques-unes de celles qui les ont suivies, portent poussa.
C’est un erratum manuscrit de feu Decroix, qui a proposé de mettre
pousse.
49. Du jésuite Ribadeneira.
QUESTIONNAIRE
chap 1
1) A quoi sert cet incipit sur "saint Dunstan" ?
2) Montrez que le portrait de l’abbé de Kerkabon est fait avec humour
3) Mlle de Kerkabon "elle aimait le plaisir, et était dévote" : expliquer cette dualité
4)
« Je suis Huron » : décrivez ce canadien (quel rapport avec le mot
"Iroquois" ?) « Ce grand garçon-là a un teint de lis et de rose! qu’il a
une belle peau pour un Huron! — Vous avez raison, ma sœur, disait le
prieur. »
5) Au souper : "Mais à la fin, excédé de tant de bruit, il
leur dit avec assez de douceur, mais avec un peu de fermeté : «
Messieurs, dans mon pays on parle l’un après l’autre ; comment
voulez-vous que je vous réponde quand vous m’empêchez de vous entendre ?
»" : comment interpréter cette prise de parole ? "On m’a toujours
appelé l’Ingénu, reprit le Huron, et on m’a confirmé ce nom en
Angleterre, parce que je dis toujours naïvement ce que je pense, comme
je fais tout ce que je veux." Qu'assume-t-il ?
(Sujet : Trouvez des
arguments convaincants pour démontrer qu'aujourd'hui encore "dire
naïvement ce qu'on pense" peut avoir des aspects positifs et négatifs -
Longueur minimale 40 lignes).
6) Pourquoi mentionner les Anglais en
cet incipit ? "Les Anglais qui l’avaient amené, et qui étaient prêts à
mettre à la voile, vinrent lui dire qu’il était temps de partir. «
Apparemment, leur dit-il, que vous n’avez pas retrouvé vos oncles et vos
tantes : je reste ici ; retournez à Plymouth, je vous donne toutes mes
hardes, je n’ai plus besoin de rien au monde puisque je suis le neveu
d’un prieur. » Les Anglais mirent à la voile... — Voilà comme sont ces
maudits Anglais, criait Mlle de Kerkabon ; ils feront plus de cas d’une
pièce de Shakespeare, d’un plum-pudding et d’une bouteille de rhum que
du Pentateuque. Aussi n’ont-ils jamais converti personne en Amérique.
Certainement ils sont maudits de Dieu ; et nous leur prendrons la
Jamaïque et la Virginie avant qu’il soit peu de temps." Montrez la
rivalité entre les deux pays.
7) « J’apprends très vite ce que je
veux apprendre. J’ai trouvé en arrivant à Plymouth un de vos Français
réfugiés que vous appelez huguenots, je ne sais pourquoi ; il m’a fait
faire quelques progrès dans la connaissance de votre langue ; et dès que
j’ai pu m’exprimer intelligiblement, je suis venu voir votre pays,
parce que j’aime assez les Français quand ils ne font pas trop de
questions. » Cette explication est-elle si innocente qu'elle paraît ?
8)
"Mlle de Kerkabon voulut absolument savoir comment on disait faire
l’amour... Mlle de Saint-Yves était fort curieuse de savoir comment on
faisait l’amour au pays des Hurons." Pourquoi ce voyeurisme en cette fin
de chap 1 ? Expliquez le comique de l'épisode de Mlle Abacaba.
10) «
Je suis de ma religion, dit-il, comme vous de la vôtre. — Hélas!
s’écria la Kerkabon, je vois bien que ces malheureux Anglais n’ont pas
seulement songé à le baptiser. — Eh! mon Dieu, disait Mlle de
Saint-Yves, comment se peut-il que les Hurons ne soient pas catholiques ?
Est-ce que les révérends pères jésuites ne les ont pas tous convertis ?
» L’Ingénu l’assura que dans son pays on ne convertissait personne...
Expliquez toutes ces allusions.
chap 2
11) Montrez que le Huron est guidé par la Nature
12) Quel est le rôle de ce petit talisman ?
13) Qu'implique cette précision : « la nourrice huronne lui a sauvé la vie et lui a servi de mère » ?
14)
"Mlle de Saint-Yves, qui n’avait jamais vu le père ni la mère, assura
que l’Ingénu leur ressemblait parfaitement. Ils admiraient tous la
Providence et l’enchaînement des événements de ce monde." Comment
expliquer ces deux phrases ?
15) "Le bailli, avant de prendre congé,
présenta à Mlle de Saint-Yves un grand nigaud de fils qui sortait du
collège ; mais à peine le regarda-t-elle, tant elle était occupée de la
politesse du Huron." Expliquez cette clausule de chap 2. Comparer avec
la clausule du chap 5. En quoi cela est-il un élément perturbateur dans
le schéma narratif ?
chap 3 : sous le signe du catholicisme :
16)
"Le prieur résolut enfin de lui faire lire le Nouveau Testament.
L’Ingénu le dévora avec beaucoup de plaisir ; mais, ne sachant ni dans
quel temps ni dans quel pays toutes les aventures rapportées dans ce
livre étaient arrivées, il ne douta point que le lieu de la scène ne fût
en Basse-Bretagne ; et il jura qu’il couperait le nez et les oreilles à
Caïphe et à Pilate si jamais il rencontrait ces marauds-là." Montrez le
comique de naïveté.
17) Rite de circoncision : "La bonne Kerkabon
trembla que son neveu, qui paraissait résolu et expéditif, ne se fît
lui-même l’opération très maladroitement, et qu’il n’en résultât de
tristes effets auxquels les dames s’intéressent toujours par bonté
d’âme." Expliquez la grivoiserie.
18) Expliquez le comique de l'épisode de la confession à un récollet.
chap 4
19)
Idem pour la rivière : « Eh parbleu! messieurs, j’attends le baptême :
il y a une heure que je suis dans l’eau jusqu’au cou, et il n’est pas
honnête de me laisser morfondre... Vous ne m’en ferez pas accroire cette
fois-ci comme l’autre ; j’ai bien étudié depuis ce temps-là, et je suis
très certain qu’on ne se baptise pas autrement. L’eunuque de la reine
Candace fut baptisé dans un ruisseau ; je vous défie de me montrer dans
le livre que vous m’avez donné qu’on s’y soit jamais pris d’une autre
façon. Je ne serai point baptisé du tout, ou je le serai dans la
rivière. »
20) Pourquoi cette allusion grivoise : "quoique
mademoiselle sa tante et Mlle de Saint-Yves, qui l’avaient observé entre
les saules, fussent en droit de lui dire qu’il ne lui appartenait pas
de citer un pareil homme" ? Idem pour le récit en fin de chapitre du
jésuite bas-breton.
21) Comment dans ce chapitre l'évêque est-il ridiculisé ?
chap. 5
22) Expliquez cet épisode d'histoire d'amour impossible.
23) Quelle est cette contradiction avec "votre livre" ?
chap 6
24)
Montrez la spontanéité naturelle et naïve du Huron face à sa bien aimée
Mlle de Saint-Yves : "« Je vous épouse », et en effet il l’épousait, si
elle ne s’était pas débattue avec toute l’honnêteté d’une personne qui a
de l’éducation... L’Ingénu possédait une vertu mâle et intrépide, digne
de son patron Hercule, dont on lui avait donné le nom à son baptême..."
25)
Quelle est cette opposition entre les deux lois : "L’abbé voulut
prouver que la loi positive devait avoir tout l’avantage, et que sans
les conventions faites entre les hommes, la loi de nature ne serait
presque jamais qu’un brigandage naturel. « Il faut, lui disait-il, des
notaires, des prêtres, des témoins, des contrats, des dispenses. »
L’Ingénu lui répondit par la réflexion que les sauvages ont toujours
faite : « Vous êtes donc de bien malhonnêtes gens, puisqu’il faut entre
vous tant de précautions. »" Pourquoi cette simplicité est-elle
subversive ?
26) Expliquez le coup de théâtre : "l’abbé, qui
non-seulement était le frère très aîné de Mlle de Saint-Yves, mais qui
était aussi son tuteur, prit le parti de soustraire sa pupille aux
empressements de cet amant terrible. Il alla consulter le bailli, qui,
destinant toujours son fils à la sœur de l’abbé, lui conseilla de mettre
la pauvre fille dans une communauté. Ce fut un coup terrible..."
27)
Montrez le comique de cette clausule : "Il voulait aller mettre le feu
au couvent, enlever sa maîtresse, ou se brûler avec elle. Mlle de
Kerkabon, épouvantée, renonçait plus que jamais à toutes les espérances
de voir son neveu sous-diacre, et disait en pleurant qu’il avait le
diable au corps depuis qu’il était baptisé."
chap 7
28)
Montrez que cette comparaison poétique a aussi une implication militaire
: "Les flots de la Manche ne sont pas plus agités par les vents d’est
et d’ouest que son cœur l’était par tant de mouvements contraires."
29) Décrivez l'héroïsme d'Hercule ; cette bataille anglaise est-elle si irréaliste qu'on pourrait le croire ?
30)
"Chacun l’exhorta de faire le voyage de Versailles pour y recevoir le
prix de ses services." Quel est le piège tendu ici ? "L’Ingénu disait en
lui-même : « Quand je verrai le roi, je lui demanderai Mlle de
Saint-Yves en mariage et certainement il ne me refusera pas. »"
Expliquez la naïveté...
chap 8
31) Expliquez pourquoi ce
chapitre consacré aux Huguenots résume de façon réaliste le problème
politico-religieux depuis Henri IV.
32) Quel rôle joue "le jésuite P. de La Chaise" ? et "ce mons de Louvois" ? L'espion ?
chap 9
33) A Versailles : les dédales de l'administration : montrez l'ironie de Voltaire à ce sujet.
34) Quelles sont les 2 raisons qui justifient l'intervention de "la maréchaussée" ?
35) Quelle est la clausule de ce chapitre ?
chap 10
36)
Pourquoi cette parole de Gordon "Adorons la Providence qui nous y a
conduits, souffrons en paix, et espérons." est-elle typique du
jansénisme ? Expliquez cette doctrine de Port-Royal. (voir plus loin :
"Après quoi il demanda à son compagnon pourquoi sa machine était depuis
deux ans sous quatre verrous. Par la grâce efficace, répondit Gordon ;
je passe pour janséniste : j’ai connu Arnauld et Nicole ; les jésuites
nous ont persécutés...") Voltaire la respecte-t-il par opposition à la
doctrine jésuite ? Ou bien se moque-t-il d'elle aussi ?
37) "Ma foi,
répondit l’Ingénu, je crois que le diable s’est mêlé seul de ma
destinée... je fais réflexion au nombre prodigieux d’hommes qui partent
d’un hémisphère pour aller se faire tuer dans l’autre, ou qui font
naufrage en chemin, et qui sont mangés des poissons : je ne vois pas les
gracieux desseins de Dieu sur tous ces gens-là." En quoi est-ce une
objection à la doctrine janséniste ?
38) « Quoi! dit-il, notre
imagination et nos sens nous trompent à ce point! quoi! les objets ne
forment point nos idées, et nous ne pouvons nous les donner nous-mêmes! »
: allusion à quelle philosophie ici ?
39) "nous sommes sous la
puissance de l’Être éternel comme les astres et les éléments ; qu’il
fait tout en nous, que nous sommes de petites roues de la machine
immense dont il est l’âme ; qu’il agit par des lois générales, et non
par des vues particulières : cela seul me paraît intelligible" : la
conception du Huron est-elle celle de Voltaire, ou son contraire ?
40) Pourquoi la naïveté du Huron est-elle si "embarrassante" pour Gordon ?
41) Qu'est-ce que sont "les idées de métaphysique" ?
42) Montrez comment le Huron apprend l'Histoire de France.
chap 11
43) Faites des recherches sur le roman "Amadis".
44) Montrez comment à travers les réflexions du Huron Voltaire se révèle historien.
45)
Concernant l’astronomie, montrez l'ironie de cette exclamation : "Qu’il
est dur, disait-il, de ne commencer à connaître le ciel que lorsqu’on
me ravit le droit de le contempler!"
chap 12
46) Sa formation scientifique l'empêche-t-elle d'être littéraire ? Justifiez.
47) Montrez l'alternance de Nature et Culture chez lui.
chap 13
48) Pourquoi soudain l'histoire de l'Ingénu change-t-elle de perspective dès le début du chapitre ?
49) Qui mène l'enquête ?
50) Expliquez la critique des "prélats", notamment par les allusion grivoises qui empêchent les RDV du prieur.
51) Quels sont les deux types d'ennemis du jésuite (P. de la Chaise) ?
52)
Mlle Saint-Yves : "Elle aimait toujours son cher filleul autant qu’elle
détestait le mari qu’on lui présentait." Qu'est-ce que ces sentiments
la poussent à faire ?
53) Montrez le courage de "La belle Saint-Yves".
chap 14
54) Pourquoi de nouveau un changement de perspective dès le début du chapitre ?
55)
Pourquoi dans son débat avec Gordon l'Ingénu ne croit-il pas aux
"vérités obscures" ? Montrer que la Nature ("le soleil") joue un rôle
essentiel dans son raisonnement.
56) "On condamne les hommes sans
les entendre! Il n’en est pas ainsi en Angleterre." Expliquez pourquoi
Voltaire plaide ici pour les Anglais.
57) Montrer qu'en fin de chap les rôles se sont inversés et que c'est le Huron qui enseigne à Gordon.
chap 15
58)
« Revenez ce soir, lui dit-il ; il faut que je vous entretienne à fond
de tout ce qui vous regarde. » Montrez en quoi consiste la critique par
Voltaire du sous-ministre Saint-Pouange. Ce dernier est-il arrivé à ses
fins durant sa "longue audience" ?
59) La clausule sur "le P. Tout-à-tous" est-elle la solution pour Mlle Saint-Yves ?
chap 16
60)
« Voilà un abominable pécheur! lui dit le P. Tout-à-tous. Vous devriez
bien me dire le nom de ce vilain homme : c’est à coup sûr quelque
janséniste ; je le dénoncerai à sa révérence le P. de La Chaise, qui le
fera mettre dans le gîte où est à présent la chère personne que vous
devez épouser. » Quelle est donc la première impression que fait le
jésuite sur Mlle Saint-Yves ?
61) Pourquoi cite-t-il cet exemple :
"La dame ne crut point mal faire en sauvant la vie à son mari. Saint
Augustin approuve fort sa généreuse résignation." ?
chap 17
62)
Expliquez comment "elle succombe par vertu : Enfin, après une longue
résistance, après des sanglots, des cris, des larmes, affaiblie du
combat, éperdue, languissante, il fallut se rendre." Est-elle selon vous
coupable ?
chap 18
63) En quoi "la belle Saint-Yves" fait-elle figure d'une vraie héroïne ?
64)
Comment comprenez-vous cette phrase : "elle écrivit enfin, et les deux
amants sortirent après avoir embrassé le vieux martyr de la grâce
efficace." ?
chap 19
65) Comment expliquez-vous
l'incompréhension du malaise de mlle Saint-Yves au milieu des
retrouvailles : "On était étonné qu’elle mêlât de la douleur à tant de
joie." ?
66) Elle subit "une pâleur mortelle" au moment où
"l’ambassadrice" lui apporte "deux boucles de diamants" : expliquez la
scène. Montrez que le Huron perd alors sa naïveté...
chap 20
67) Pourquoi les questions que se pose le père Gordon servent-elles à rendre réaliste la maladie de l'amante du Huron ?
68) Quel est l'intérêt de la lettre de "Vadbled, frère jésuite" ?
69) Montrez en quoi ce final relève du registre pathétique, jusqu'au "repentir" du coupable Saint-Pouange.
70) Comment pouvez-vous justifier le côté contradictoire de la devise finale (derniers mots) ?